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ni de persuader les autres de sa valeur, et sa franchise était sans prétention comme sans inquiétude.

Dès les premiers temps de son séjour à Edimbourg, Hamilton entra en relations avec Dugald Stevvart, qui s’étonna de l’érudition que comportait la philosophie, et profita du savoir de son futur éditeur en regrettant de ne l’avoir pas connu plus tôt pour en profiter mieux. On raconte que Hamilton rencontra chez Stewart le docteur Parr, placé au premier rang par les Anglais pour la science de l’antiquité classique. Par une obligeante attention pour la compagnie, le savant mit la conversation sur la philosophie grecque ; mais, quoiqu’il fût loin d’y être étranger, il s’aperçut bientôt qu’il y avait là un auditeur à qui il ne pouvait rien apprendre, et, changeant le cours de l’entretien, il se mit à disserter sur les poètes latins des derniers siècles et leurs imitateurs de la renaissance. Trouvant alors le même personnage également prêt à le suivre sur ce terrain, complétant ses remarques, rectifiant ses citations, il fut troublé, et, s’arrêtant tout à coup : « Ah çà, dit-il, qui êtes-vous donc, monsieur ? »

C’est en 1820 que la retraite définitive de Stewart et la mort de Brown, qui l’avait suppléé, laissèrent vacante la chaire de philosophie morale à l’université. Hamilton se mit sur les rangs pour la remplir. Il n’avait ni enseigné ni écrit, mais ses vastes études philosophiques étaient notoires, et de grandes autorités appuyaient sa candidature, dont Stewart écrivit que le succès serait un bonheur pour l’université. On sait qu’en Écosse l’usage autorise les concurrens à produire en faveur de leur candidature des recommandations ou plutôt des témoignages souscrits par des juges compétens de la doctrine et du talent. Même, je le sais, le suffrage des simples amis de la science n’est pas dédaigné. Les plus imposans dignitaires d’Oxford et le docteur Parr lui-même s’engagèrent en faveur de Hamilton. La philosophie était alors tellement abandonnée en Écosse qu’en opposition à un avocat parfaitement capable de l’enseigner sans pourtant l’avoir jamais essayé, on ne pouvait présenter personne ayant fait ses preuves dans une science rendue par Dugald Stewart fort accessible et même attrayante. Le candidat le mieux appuyé était un autre avocat, John Wilson, qui, dans quelques poésies d’un heureux présage, quelques essais de critique originale, et une polémique haute en couleur sur les affaires du temps, ne s’était fait soupçonner d’aucune accointance avec Aristote ou Platon pas plus qu’avec Locke ou Descartes ; mais il était un tory prononcé. Le conseil de ville, qui est le patron de la chaire, c’est-à-dire qui l’a fondée et qui désigne le professeur, n’était, bien entendu, sensible qu’aux considérations politiques. « En 1820, dit un écrivain, tout le monde était whig ou tory… L’adoucissement et le