Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voilà où en est aujourd’hui le bouddhisme. Toutefois, pour être juste, ce n’est pas à Çâkyamouni qu’il faut s’en prendre si sa religion est tombée jusqu’à ces adorations ridicules, c’est plutôt à l’esprit grossier de la foule. Des faits semblables se sont produits ailleurs, et dans le christianisme lui-même. Nous ne pouvons nier, en effet, que l’homme étranger à nos croyances qui, en Italie, en Espagne et même en France, contemplerait dans les églises catholiques la foule prosternée devant un reliquaire ou couvrant d’ornemens la madone et l’enfant Jésus, pourrait croire à de l’idolâtrie. Ce sont des faits de cette sorte, joints à certaines ressemblances extérieures dans le rite, qui ont donné à penser qu’entre le bouddhisme et le catholicisme existaient des rapports bien réels. La disposition intérieure des églises est la même ; l’autel mystérieux, les chandeliers, les chapes de nos prêtres se retrouvent dans l’empire de Siam et en Mongolie ; la croix est en grand honneur au Thibet. La vie cénobitique, le célibat des religieux, la confession, sont des prescriptions de la religion bouddhique aussi bien que de la nôtre. Enfin d’un côté l’ascète réformateur, de l’autre le législateur divin, ont également fait entendre des paroles de pitié et de miséricorde, celui-là relevant les castes déshéritées, celui-ci s’adressant aux petits, aux faibles et à tous les misérables.

Ces faits paraissent constituer entre les deux religions de sérieuses ressemblances, et on est tenté d’abord de se demander comment, avec l’une d’elles, l’Asie orientale est tant demeurée en arrière, tandis que l’autre, secondant l’activité de l’occident de l’Europe, lui a permis de s’avancer d’un pas ferme et assuré dans la civilisation. En y regardant de plus près, on ne tarde pas à se convaincre que ces ressemblances sont purement extérieures et superficielles, et que si ces religions présentent dans leurs pratiques quelques analogies, elles n’en conservent pas moins dans leur génie et dans leur constitution intime des différences radicales. La vie de Siddhârtha nous a montré un homme profondément touché de la misère de ses semblables, s’écartant dans la solitude pour méditer sur la guérison de leurs maux, et croyant avoir trouvé le remède dans l’isolement, dans la contemplation, loin des jouissances les plus naturelles et dans le mépris de la vie même. Le mobile du Bouddha est la crainte, et son but la récompense. Le Christ a une bien autre figure : il n’apparaît pas en réformateur et ne change pas l’histoire, il vient seulement la compléter, puisque sa naissance est l’accomplissement des prédictions des prophètes ; il ne rejette donc point le passé, il l’achève, il ne médit pas de la vie, il l’améliore. Si son enfance est illuminée des rayons de la sagesse, si tout jeune il vient s’asseoir dans le temple parmi les docteurs, cependant il ne déserte jamais la vie ac-