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tions en ce qui concerne l’aumône et la pauvreté des habits. On peut d’ailleurs juger du bon sens religieux de la population de l’île par une cérémonie qui la mit tout entière en émoi dans le courant de l’année 1858. Il s’agissait de l’exhibition d’une prétendue dent du Bouddha. Cette précieuse relique est conservée dans la pagode de Maligaoui, qui est un des plus fameux sanctuaires du monde bouddhique ; il est très rare qu’on la tire du tabernacle où elle repose enfermée dans neuf boîtes concentriques en or enrichies de diamans, de perles et de rubis, et l’exposition publique n’en peut avoir lieu qu’avec le consentement du gouverneur anglais de Kandy. Voici à quelle occasion ce fait notable se produisit récemment : Ceylan entretient des relations religieuses avec l’empire birman, et il se fait de l’un à l’autre pays, par le golfe du Bengale, d’assez fréquens pèlerinages. Deux religieux de l’île, se trouvant à la cour d’Ava, apprirent avec surprise qu’on prétendait conserver dans cette ville une dent du Bouddha longue de huit pouces, et mirent en doute l’authenticité de cette relique. L’empereur des Birmans exigea aussitôt que la question fût soumise à un concile de bonzes : les religieux singhalais objectaient que la dent birmane est plus que double de celle de Ceylan, dont personne ne récuse l’authenticité, et en effet on ne trouva rien dans les textes qui permit de conjecturer que jamais le Bouddha eût prédestiné une de ses dents à être conservée au pays birman. L’empereur, avec une impartialité qui lui fait honneur, décida que deux bonzes iraient à Ceylan examiner de près la relique rivale, et rédigeraient à ce sujet un rapport.

Les deux bonzes vinrent en effet dans l’île. Le gouverneur anglais ne pouvait refuser son autorisation en présence d’une question si grave, et le 9 octobre 1858 fut fixé pour la grande cérémonie de l’exhibition. À cette nouvelle, la population indigène afflua de tous les points de l’île, et la pagode fut splendidement décorée. Enfin, après de longs préliminaires, au signal donné par une trompette, le sanctuaire s’ouvrit, et l’on en vit sortir une longue procession de bonzes suivis du grand-prêtre, précédé de la dent du Bouddha renfermée dans un coffret en cristal, qui lui-même reposait sur une fleur de nénuphar en or massif. À cette vue éclata un enthousiasme immense, et le mot sâdhou ! sâdhou ! qui peut se traduire par amen, retentit de façon à ébranler l’édifice ; le bruit des flûtes, des trompettes, des tam-tams s’y mêla, et la foule se prosterna pêle-mêle. La relique fut alors placée sur l’autel au-dessous du dais. C’est un fragment d’ivoire de la dimension du petit doigt, jaune fauve, un peu courbé vers le milieu et plus gros à une extrémité qu’à l’autre. Les envoyés de l’empereur birman examinèrent avec soin la relique, puis la foule entière fut admise à défiler devant l’autel.