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les êtres plongés dans l’incertitude, plein de compassion pour ceux qui cherchent, et qui, moins heureux que lui, ne sauraient trouver, il surmonta toute faiblesse, et, quittant le figuier sacré qui ombrageait Bodhimanda, le trône de la sagesse, il franchit le mont Gaya, parvint au Gange, et entra dans la grande ville de Bénarès. Il y retrouva les cinq disciples qui l’avaient quitté à Ourouvilva. Ceux-ci, repentans, se jetèrent à ses pieds et le reconnurent pour l’instituteur du monde. Il ne tarda point à obtenir bien d’autres conversions : le roi du Magadha et celui du Koçala, royaume voisin situé sur les bords du Gange, embrassèrent le bouddhisme, et ce fut près d’eux, sous leur protection, qu’il prêcha le Lotus de la bonne loi et un grand nombre de ses autres soutras. Râdjagriha, au centre du Magadha, lieu de son séjour favori, devint la ville sainte du bouddhisme.

Quelle fut l’opposition des brahmanes, dans quelle mesure résistèrent-ils à son influence toujours croissante ? Les soutras contiennent peu d’indications sur ce point, et le Lalitavistâra, principal document dont on a extrait l’histoire du législateur, s’arrête peu après le moment où l’ascète devient Bouddha. Toutefois on peut croire que la lutte se passa surtout en paroles : l’intolérance, comme l’a justement remarqué un critique éloquent, est un fait propre à la race sémitique. Depuis le temps même de la rédaction des Védas, l’Inde ne cessa jamais de soumettre à l’esprit de recherche et d’examen ses croyances religieuses, et on doit croire que le Bouddha, chef de secte, jouit à cet égard de la même liberté que son prédécesseur le philosophe Kapila. Il est certain que, tout en se regardant avec un mutuel mépris, les deux religions de l’Inde ont vécu quatorze cents ans côte à côte. Le Bouddha n’usa jamais de la faveur que lui témoignèrent plusieurs rois de l’Inde pour persécuter ses adversaires ; il ne chercha des armes que dans la persuasion. Ce n’est qu’au commencement du IXe siècle de notre ère que le brahmanisme, prenant définitivement le dessus, commença à se faire persécuteur, peut-être à l’exemple de l’islamisme, qui commençait à apparaître de l’autre côté de l’Indus, et réussit à expulser le bouddhisme au milieu de circonstances historiques qui ne sont encore que très imparfaitement connues.

Le Bouddha, vainqueur de ses adversaires dans plusieurs luttes métaphysiques et favorisé par les souverains, put donc multiplier les conversions et développer avec sécurité sa doctrine. Une des femmes qui l’avaient élevé, sa tante Mahâ Pradjâpati, vint le trouver ; il lui permit d’embrasser la vie religieuse, et ce fut à cette circonstance que les femmes durent de participer à la condition monastique. Son cousin Ananda, beaucoup de ses parens, la puissante