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a pas un soutra (on appelle ainsi les discours recueillis par ses disciples, dans lesquels le législateur développe sa doctrine) où le nirvana soit nettement défini. M. Burnouf se croyait donc en droit de dire : « Ce Bouddha qui rejette le Brahma éternel et absolu dans le sein duquel les âmes sont absorbées, qui ne semble pas admettre, la nature ou Prakriti, procréatrice, dont Kapila détache les âmes éternelles et individuelles, qui ne cesse de répéter que la vie est un mirage, une illusion, un songe, ne croyant ni à Dieu ni à la réalité de ce qui l’entoure, ne peut placer la fin suprême que dans l’anéantissement. » M. Barthélémy Saint-Hilaire ajoute : — Nirvana signifie extinction, nir, non, va, souffler ; les brahmanes ne cessent de reprocher aux bouddhistes de croire à une destruction absolue ; enfin l’état qui, dans cette vie, approche le plus du nirvana, c’est le dyâna, sorte de contemplation ou d’extase. Or le dyâna a quatre degrés : le premier est le sentiment intime de bonheur qui remplit l’ascète, quand, par le mépris de ce qui l’entoure, il est parvenu à se détacher de tout autre désir que celui du nirvana, il juge et il raisonne encore, mais il est affranchi de toutes les conditions du péché. Au second degré, il se défait du jugement et du raisonnement, et son intelligence, fixée sur le seul nirvana, ne ressent que la jouissance d’une pleine satisfaction intérieure, sans la juger ni la comprendre. Au troisième degré, ce plaisir même a disparu, le sage tombe dans l’indifférence, conservant toutefois un vague sentiment de bien-être physique dont tout son corps est inondé et une conscience confuse de lui-même. » Au dernier degré, l’ascète ne possède plus ce sentiment de bien-être physique, non plus que la mémoire, ni même le sentiment de son indifférence ; libre de tout plaisir, de toute douleur extérieure ou intime, il est parvenu à l’impassibilité aussi voisine du nirvana qu’elle peut l’être durant cette vie. Cependant, et c’est là le point remarquable, l’impassibilité n’empêche pas l’ascète d’acquérir à ce moment même l’omniscience. Si cet état de l’extase, ajoute M. Barthélémy Saint-Hilaire, est déjà un néant transitoire et anticipé, que doit-on chercher dans le nirvana, sinon un néant éternel et définitif ? À cela pourtant on peut répondre que si l’âme acquiert l’omniscience, il est impossible qu’elle soit anéantie ; de plus, le nirvana ne désigne pas une extinction absolue, car, suivant les soutras bouddhiques, il y a trois nirvanas distincts, et il est impossible que les deux premiers désignent absolument la même chose que le troisième. Enfin, si le Bouddha a nié la réalité des objets qui nous entourent, il n’a pu nier la réalité du sujet pensant, c’est-à-dire l’âme, et partant les âmes des hommes qu’il venait sauver ; si l’âme était simple, elle était indissoluble. Enfin, voici les paroles mêmes que le Lotus, traduit par M. Burnouf, attribue à Çâkyamouni : « Le nirv-