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mandait s’il n’existe pas une loi qui peut sauver le monde, et placer les hommes, en dehors de la création, dans le repos. Cette loi, son esprit la cherchait sans cesse, et il croyait voir en songe des divinités qui lui montraient une voie meilleure. Vainement son père et sa jeune épouse, étonnés de ses préoccupations, redoublaient de soins pour l’en distraire : trois rencontres successives vinrent confirmer ses résolutions. Un jour qu’il sortait par la porte orientale de la ville de Kapilavastou, il se trouva face à face avec un vieillard cassé, décrépit, courbé sur un bâton ; une autre fois, sortant par la porte du midi, il vit un homme brûlé de la fièvre, accablé de son mal, épouvanté par la crainte de la mort ; enfin, par la porte de l’ouest, il rencontra un cadavre que des parens escortaient en pleurant et en se couvrant de poussière.

Il songeait ainsi à la vieillesse, à la maladie, à la mort, quand il vit un mendiant revêtu des habits religieux, portant le vase qui contient les aumônes et marchant les yeux baissés, sans apparence de crainte ou de désir. — Cette voie est la meilleure, pensa-t-il, et il rentra dans la ville. La nuit même il communiqua sa résolution à sa femme Gopâ et s’efforça de la consoler ; le lendemain il alla trouver son père ; celui-ci, rempli de chagrin, lui offrit ses palais, ses trésors, son royaume. « Faites, dit le prince, que je sois toujours en possession de la jeunesse, que jamais je ne devienne la proie de la maladie, que ma vie soit sans bornes, et je resterai auprès de vous. » C’est en vain qu’on essaya de le surveiller étroitement ; une nuit il fit seller son cheval et partit, suivi seulement de son cocher Tchândaka. Siddhârtha avait alors vingt-neuf ans. En quittant Kapilavastou, il fit de touchans adieux à la ville où il avait passé sa jeunesse, lui promettant de « venir l’éveiller » quand il aurait obtenu la demeure suprême, exempte de vieillesse et de mort, quand il serait devenu Bouddha, c’est-à-dire éclairé, savant, car le mot bouddh signifie simplement connaître.

Après avoir marché la nuit entière et s’être éloigné du pays des Çâkyas, Siddhârtha congédia son fidèle serviteur, en lui remettant son cheval et ses parures ; puis il échangea ses habits de soie contre les vêtemens grossiers d’un pauvre chasseur, il coupa et jeta au vent sa chevelure ; désormais on devait l’appeler Çâkyamouni, ce qui veut dire le Çâkya solitaire, ou bien Çramana-Gaoutama, l’ascète gôtamide. Il s’en alla d’école en école, chez les plus illustres brahmanes : plusieurs, pleins d’admiration pour sa science et sa beauté, voulurent le retenir auprès d’eux ; mais il lui sembla que leur doctrine n’était pas vraiment libératrice, qu’elle n’enseignait pas l’indifférence pour le monde, l’affranchissement des passions, le calme, l’intelligence parfaite, et il les quitta. Cinq des élèves de