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à empiéter sur l’avenir. Nous avions l’habitude de dépêcher vers lui les missionnaires de la religion qui s’est imposée à nos sociétés, il y a dix-huit siècles, pour les relever et les rajeunir, et voici qu’à son tour il déborde des régions où il était confiné avec des millions de sectateurs. Sans doute l’invasion de ses pratiques et de ses superstitions n’est pas à craindre, mais peut-être le danger se trouve-t-il dans les idées et les tendances qu’il porte avec lui. À côté des dogmes et des rites qui constituent leur physionomie extérieure, les religions ont des aspirations et comme un idéal qui s’emparent de nos esprits pour les agrandir ou les abaisser : l’éternel honneur du christianisme, le point sur lequel les esprits élevés se réunissent, en dehors de toute contestation, pour en reconnaître l’excellence, ce sont ses tendances spiritualistes. En est-il de même du bouddhisme ? et si l’idée qu’il porte en soi est inférieure, n’avons-nous pas à en redouter les influences ? Une telle proposition n’a rien qui doive révolter notre orgueil, car si nous sommes supérieurs aux sociétés qui pratiquent cette religion, cependant l’expérience nous enseigne que lorsque deux civilisations sont longtemps en présence, un certain niveau tend à s’établir entre elles ; nous savons aussi quelle force de communication doivent produire un contact multiplié, une infiltration lente et continue ; enfin il faut bien admettre qu’une religion qui a dirigé un si grand nombre d’hommes durant tant de siècles a des côtés propres à saisir les esprits de la foule. Le bouddhisme ne dût-il jamais justifier ces craintes et porter son influence hors de l’Asie, il n’en est pas moins intéressant de voir son législateur dégagé des broderies dont l’ont enveloppé les légendes et redevenu, par les soins de M. Barthélémy Saint-Hilaire, un personnage historique, d’assister à l’enfantement de sa doctrine et de la suivre dans ses conséquences, de vérifier enfin si c’est à juste titre qu’on a prétendu trouver de sérieuses analogies entre le christianisme et la religion du Bouddha.


I.

Un peu plus de six siècles avant Jésus-Christ, c’est-à-dire vers le temps où Solon donnait des lois à Athènes, où Rome, sous les rois, empruntait à l’Étrurie les élémens de sa première civilisation, où nos aïeux incultes erraient à travers les forêts de la Gaule et de la Germanie, dans l’Inde, qui, depuis environ huit siècles, avait réglé sa religion et ses lois, un prince naquit au royaume de Kapilavastou, sur les dernières pentes de l’Himalaya, entre les royaumes de Népal et d’Oude. Son père, le roi Çouddhodana, appartenait à la caste des kchattryas ou guerriers, et il était issu de la noble race des Gô-