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inculte et familier, mais plein de force. « Le duc de Savoie, dit-il[1], étoit le principal boute-feu de cette guerre ; il n’avoit traité avec le roi que l’épée à la gorge, et crevoit de dépit d’y avoir été forcé… Ayant toujours affecté la vanité d’être estimé avoir entre ses mains la paix et la guerre d’Italie à cause de ces passages qu’il donnoit à entendre ne pouvoir être forcés, il ne pouvoit se remettre de ce que le roi avoit détrompé le monde de cette créance-là… Il avoit le premier animé l’empereur et demandé d’être lieutenant-général de ses armes en Italie, et lui donnoit avis et invention d’attaquer la Bourgogne, la Bresse ou la Champagne et les évêchés. En Espagne, il avoit fait le même par les quatre évangélistes[2] qu’il y avoit… D’Angleterre, le roi avoit eu avis que le duc empêchoit la bonne intelligence entre les deux couronnes, qu’il tâchoit par tous moyens d’unir l’Angleterre à l’Espagne… De Hollande, le roi étoit averti qu’il promouvoit l’accommodement avec l’Espagne, leur facilitant les moyens de venir à une trêve. En Italie, il ne faisoit rien de ce qu’il avoit promis : il continuoit à faire tout le pis qu’il pouvoit contre le duc de Mantoue… Sur l’évaluation des terres du Montferrat, il faisoit naître tous les jours mille difficultés… Il faisoit des extorsions inouies dans les terres dont, par le traité de Suze, il demeuroit en possession, il y tenoit des garnisons qui pilloient le reste du Montferrat, lesquelles il y faisoit vivre à discrétion contre ce qui avoit été convenu ; il ne voulut jamais permettre qu’il fût porté un grain de blé dans Casal ; il tira de Novare une très-grande quantité d’armes qu’il fit passer dans le Milanois ; on disoit publiquement qu’elles serviroient à chasser les François de Suze… Bref, en toutes choses il se montroit de cœur double et faisoit tout au contraire de ce qu’il avoit promis au roi, auquel il donnoit de belles paroles, mais les effets témoignoient que le cœur étoit très envenimé. »

L’empire et l’Espagne n’avaient pas besoin d’être excités à renouveler

  1. Collection Petitot, Mémoires de Richelieu, t. V, p. 233. — Il est à remarquer que Benedetti n’est guère moins sévère que Richelieu envers le duc de Savoie, p. 22 : « Il fuoeo veniva tanto maggiormente accolorato dalle sagaci et artificiose manière di Carlo Emanuel duca di Savoia, che con la mira di dilatare il suo stato nel Monferrato, e con la speranza di poter rendersi arbitro di quelle armi, con varie e ben sovonte frà se stesse contrarie risoluzioni, pose il suo stato in grandi contingenze e dannosi pericoli. » — Brusoni, dans son Supplément à l’Histoire d’Italie, dédié, en 1664, au petit-fils de Charles-Emmanuel, tout en ménageant le duc de Savoie, est bien forcé de blâmer ses desseins hasardeux, « suoi precipitosi consegli, » et l’appelle « principale architetto con gli Spagnuoli delle turbolenze…, etc. » Supplemento all’ Istoria d’Ilalia, di Girolamo Brusoni, dedicato all’ altezza reale di Carlo Emmanuele II, duca gloriosissimo di Savoia, in Franforte 1664, page 154, 155.
  2. Richelieu appelle ainsi les quatre envoyés du duc de Savoie, parce qu’ils étaient ecclésiastiques : le plus connu d’entre eux est l’abbé Scaglia.