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des magiciens et des sorciers, beaucoup plus superstitieuse que certains autres pays de l’Europe civilisée. Si l’Islandais Svein Soelvason, auteur d’un jus criminale imprimé à Copenhague en 1776, traite encore au sérieux le crime de sorcellerie, il a soin de rappeler que depuis la fin du XVIIe siècle il n’y avait eu en Islande aucune poursuite judiciaire à ce sujet. En effet, on avait encore brûlé un sorcier en 1685, un autre, condamné en 1690, avait été gracié ; seulement de tels scandales judiciaires ne s’étaient pas renouvelés. C’est de quoi faire honneur à l’Islande, surtout si l’on juge par comparaison. Les Islandais à la vérité n’ont pu croire que leur île fût condamnée à subir de si nombreux et de si cruels fléaux sans l’intervention spéciale de quelques funestes puissances. On a dressé pour deux ou trois siècles la liste effrayante des éruptions de volcans, des froids extrêmes et des famines de ce malheureux pays, et, comme si ce n’était pas assez des maux de la nature, il a fallu ajouter à ce martyrologe les désastres causés par les hommes : ici viennent se ranger les excursions meurtrières par lesquelles les pirates des nations mêmes du midi venaient désoler au XVIIe siècle les côtes de l’Islande. La principale de ces expéditions doit être celle qui amena en 1627, sous la conduite d’un chef nommé Abdul, des pirates algériens. Je regrette à ce propos de n’avoir pas trouvé dans le livre de M. Maurer la plus petite explication du mot singulier que je rencontre dans le Dictionnaire islandais-latin de Bicern Haldorsen : Gassgonslaeti, avec cette explication : « insolence et brutalité des Gascons ou Biscaïens, qui, en l’année 1616, dans la partie occidentale de notre île, expièrent par la mort leurs rapines et leurs méfaits de toute sorte. » Évidemment le mot et la tradition font allusion à quelque expédition de nos courageux Basques, et il serait curieux de retrouver cet épisode de leur histoire en si lointain pays.

M. Maurer a enregistré un grand nombre de légendes sur les fléaux naturels de l’Islande et sur les excursions maritimes qui ont désolé ses rivages. De même qu’on invoquait en France au moyen âge Dieu contre les Normands : libera nos a malo et a furore Normannorum, prière qui se récitait il y a trois ou quatre ans, qui se récite peut-être encore aujourd’hui (curieux exemple de la perpétuité des traditions) dans un couvent voisin de Paris qu’on pourrait nommer, de même, jusque vers la fin du XVIIIe siècle, l’Islande faisait célébrer un certain jour chaque année un office « contre les Turcs. » En divers endroits de l’île, on montre des champs de bataille avec de grands tertres sous lesquels ont été ensevelis ces ennemis extérieurs vaincus : ici le Spanskanof, nom qui rappelle l’incursion et la défaite de pirates espagnols, là le Danski holl ou tombe des Danois, etc.

Aux pirates et corsaires qui pillaient les habitations le long des côtes répondent les brigands de l’intérieur ; l’un des plus curieux chapitres du livre que nous étudions est assurément celui qui contient les récits populaires et les légendes traditionnelles concernant les utilegumenn. On reconnaît la composition du mot ; il s’agit des outlaw, des hommes hors la loi. On appelait ainsi en Islande les hommes que l’althing avait condamnés à l’exil, et qui,