Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/1015

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

signaler en passant un volume que vient de publier M. Xavier Aubryet, jeune écrivain qui entre un peu dans la vie littéraire la cravache à la main et le poing sur la hanche. M. Aubryet est un fantaisiste d’esprit, de trop d’esprit pour notre goût timoré, qui recherche avant tout dans les écrits des idées, et des idées solidement émises. M. Aubryet aime la musique : son instinct en pressent les beautés, son style en reflète parfois les modulations fugitives ; mais il ne peut pénétrer dans l’essence de l’œuvre admirée, parce que la langue de l’art lui fait défaut. Tout l’esprit du monde et même le génie, d’illustres écrivains l’ont bien prouvé, ne sauraient tenir lieu de la connaissance intime de la chose dont on parle, surtout lorsqu’il s’agit d’apprécier les compositions musicales d’un ordre supérieur. C’est à la fois la force et la faiblesse de la musique d’être un tout indivisible composé d’inspiration et de science, d’amour, et de méditation, et de réunir la langue de Platon à celle de Pythagore. Que M. Aubryet y prenne garde : sous les magiques accords du Freyschütz, de Guillaume Tell et de Zampa, qu’il admire avec tant de raison et qui semblent un écho direct de l’âme inspirée du compositeur, il existe une charpente logique qui est à l’œuvre du musicien ce que la structure admirable et prodigieuse du corps humain est à la Vénus de Milo, qu’on dirait éclose d’un souffle divin. Il y a d’heureuses rencontres dans les pages que M. Aubryet a consacrées à Rossini, à Hérold, à Weber, à Mozart ; mais ce ne sont là que les impressions d’un esprit aventureux, qui, au lieu d’aller droit à l’objet qu’il aime, lui adresse des complimens qui ne valent pas une bonne étreinte. Bien que nous soyons loin de partager toutes les opinions littéraires de M. Aubryet, dont le livre contient des admirations fort étranges, inacceptables, nous lui souhaitons ici cordialement la bienvenue, au nom de Mozart, de Weber, de Rossini, d’Hérold, qui sont aussi nos dieux domestiques.

Dans le nombre des dernières publications relatives à la musique, citons encore la seconde édition de la Biographie universelle des Musiciens, par M. Fétis. Le premier volume, qui vient de paraître, contient un grand nombre d’articles nouveaux qui ne se trouvent pas dans la première édition, qui remonté à l’année 1835. Le savant directeur du conservatoire de Bruxelles a refondu et presque doublé l’œuvre qui résume tous les travaux de sa vie.

La mère de l’illustre compositeur Hérold, l’auteur de Zampa et du Pré aux Clercs, s’est éteinte le 12 mars dernier, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Née à Paris en 1770, cette femme, d’une trempe de caractère peu commune, avait conservé jusqu’aux derniers jours l’intégrité de ses facultés, la gaieté, l’entrain et la tournure d’esprit du siècle de Voltaire. Elle est morte sans crainte et sans pressentimens douloureux, fière d’avoir donné à la France l’un de ses meilleurs musiciens.

P. SCUDO.