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un caprice qu’a voulu se passer M. Calzado, et la loi est ainsi faite que M. Meyerbeer a dû subir l’affront de voir monter un opéra de sa composition avec un personnel incomplet et une exécution déplorable.

Tout le monde sait que il Crociato in Egitto a été écrit à Venise en 1824 pour Veluti, le dernier des sopranistes célèbres, Crivelli, le beau ténor qui a brillé sous le premier empire au théâtre de l’Odéon, pour Mme Méric-Lalande et Lorenzani. En 1825, on l’a donné au Théâtre-Italien de Paris, alors sous la direction de Rossini, et il fut chanté par Mmes Pasta, Schiassetti, Mombelli, par Donzelli et Levasseur. Cet ouvrage, le dernier que Meyerbeer ait composé en Italie, accuse une forte imitation du style de Rossini, ce qui n’a pas empêché l’auteur de Robert le Diable et des Huguenots de révéler plus tard sa véritable originalité. Les génies méditatifs et lents à se développer, comme les Fabius, les Léonard de Vinci et les Poussin, ne procèdent pas comme les natures spontanées, qui tressaillent et répandent leurs parfums au premier baiser de l’Aurore. Si des hommes comme Rossini ou Cimarosa semblent éclore tout à coup, comme dans un rayon de soleil, d’une poussière féconde, mais invisible, des musiciens comme Weber ou Meyerbeer soulèvent avec plus d’efforts la terre généreuse qui les a nourris et longtemps préservés. Ce qui importe, c’est le résultat. Quoi qu’il en soit, il y a dans il Crociato in Egitto des choses suffisamment intéressantes pour justifier le succès qu’il a obtenu dans toute l’Europe. Nous pouvons citer la cavatine du premier acte : Ah ! come rapida fuggi la speme ! la romance et le terzetto du second acte : Giovinetto cavalier, et le beau chœur pour voix d’hommes, devenu populaire : Nel silenzio e fra l’orrore. Bien d’autres morceaux mériteraient d’être signalés dans cet ouvrage distingué, où, sous une forte impression de la manière et du brio de Rossini, le génie de Meyerbeer s’annonce déjà par une phrase courte, colorée, et des chœurs dialogues qui visent au sentiment dramatique. Il Crociato in Egitto a été donné trois fois pour l’agrément de M. Calzado, à qui ce caprice a coûté, assure-t-on, 25,000 francs.

Un événement qui ne manque pas d’importance s’est produit au Théâtre-Lyrique. M. Carvalho a cédé son privilège ; il quitte la direction avec les honneurs de la guerre, à ce que l’on nous a affirmé. Si cela était, la fortune aurait été bien inspirée. D est à souhaiter que le successeur de M. Carvalho montre la même activité intelligente et qu’il soit aussi favorable aux œuvres fortes et impérissables, sans nuire toutefois aux hommes de bonne volonté qui se présentent dans la carrière. En attendant, il faut savoir gré à M. Carvalho d’avoir mis sous les yeux du public, et fait apprécier par les Parisiens trop malins, des œuvres comme Oberon, Euryanthe et Preciosa de Weber, les Noces de Figaro et l’Enlèvement au Sérail de Mozart, Orphée de Gluck. Aussi espérons-nous qu’il sera beaucoup pardonné à M. Carvalho, car il a beaucoup aimé ce qui est éternellement aimable.

Le 24 mars, on a donné au Théâtre-Lyrique la première représentation