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Mon ameublement se compose d’un lit de fer, d’un lavabo portatif à cuvette de cuivre, d’une table à pliant, et, en guise de commode, de pettarahs (boîtes d’étain qui renferment nos effets de toilette). Sous un auvent de toile, au côté droit de la tente, mon noir serviteur, accroupi, n’attend qu’un signal pour apparaître le feu ou le billatee-pannee (soda-water) à la main. Le soleil est dissimulé sous un épais manteau de nuages; aussi, quoique ma montre marque bien près de neuf heures, je n’ai pas encore senti le besoin de faire placer à la porte les tatties, sorte de paravens en vétiver, et qui, incessamment arrosés par un homme affecté exclusivement à ce travail, conservent sous la tente une fraîcheur délicieuse. J’embrasse en ce moment du regard une scène des plus originales, que je prendrai la liberté de décrire pour ton instruction.

Notre meute d’éléphans est répandue sur les bords et au milieu des eaux du tank dans les attitudes les plus diverses. Celui-ci, immobile sur ses jambes au bord de l’eau, la trompe perpendiculaire, semble pêcher à la ligne. Au profond du bassin, en voici un autre qui s’amuse malicieusement à disparaître sous les eaux, en entraînant avec lui son mahout cramponné à ses oreilles. Sur la droite, mon compagnon de sport, l’Ami-de-la-Lune, l’un des plus vaillans de la bande, et qui comme tel m’est échu en partage dans nos expéditions, l’Ami-de-la-Lune, dis-je, savoure le dolce far niente du bain avec autant de sybaritisme que pourrait le faire un vieux Turc. Couché sur le flanc, l’air languissant, la pose voluptueuse, il cueille de sa trompe l’eau à la surface pour la faire voltiger en gerbes autour de lui en manière de passe-temps, tandis qu’un mahout et un syce, la pierre ponce à la main, lui labourent énergiquement les côtes. Je pourrais continuer ici mon énumération à la manière classique et te donner les noms de ces courageuses bêtes, véritables amis de l’homme : le Fils-du-Rajah, l’Etoile-du-Matin, la Pomme-Grenade, célèbre entre tous par la régularité et l’épaisseur du bouquet de poils qui termine sa queue, l’une des plus grandes beautés qu’un éléphant puisse posséder aux yeux des natifs : t’en serais-tu jamais douté, profane? Mais je ne veux pas abuser du genre descriptif et termine le tableau par un crayon du cortège de master Jimmy, qui rentre en ce moment de sa promenade du matin. A la tête du petit cheval, un syce qui le conduit par la bride; au côté droit de la selle, le fidèle Bukt-Khan soutient son petit maître d’une main pleine de sollicitude; au côté gauche, un porteur d’ombrelle, l’arme au vent. Le poney s’est arrêté à la porte de la tente, et Jimmy, m’envoyant Force baisers, m’a crié de sa voix enfantine : Frenchman sahib, salam ! puis le cortège s’est remis en marche, suivi à distance d’une ayah qui ne porte rien, à l’instar du page au convoi de M. de Marlborough.