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nées, que Dieu te protège, qu’il te rende bientôt à ta patrie, à ton vieil et affectionné cousin!


HENRI DE MARCENY A CHARLES DE MARCENY.
32, rue Neuve-des-Mathurins, Paris. Via Calcutta et Égypte.

Jongle de Deyrah, 18 mai 1857.

We keep the sabbath to day, mon bon vieil ami, et cependant je ne crois pas en outrager la sainteté en profitant de mon oisiveté pour te donner au long de mes nouvelles. Depuis ma dernière lettre, j’ai fait pas mal de chemin et de besogne. Tous mes amis de Minpooree, le major Hammerton, Utile Jimmy, le docteur Hall et moi-même, sommes réunis en déplacement de chasse dans la jongle de Deyrah, contrée chère ajuste titre au sportsman de l’Inde; quant à lady Suzann, elle avait quitté Minpooree avant notre départ pour aller assister à Nawabgunge, la grande station militaire des environs, au mariage d’une de ses jeunes amies. Depuis près de quinze jours, nous sommes installés sous la tente, où il fait chaud, je t’assure ; mais la nouveauté de cette existence, l’étrangeté de nos rencontres quotidiennes avec les plus beaux animaux de la création donnent à la vie une animation devant laquelle disparaissent les privations et les fatigues. Parler de mes privations et de mes fatigues, c’est un peu trop abuser du privilège d’exagération accordé aux voyageurs; je ramène donc les choses à la plus stricte réalité, en tirant à ton intention une photographie de notre établissement et de notre vie de tous les jours. C’est aux limites de la jongle qui s’étend vers le nord, à proximité d’un vaste tank, que nous avons planté notre camp, dont tu te représenteras difficilement l’importance et l’étendue. Avec tes idées rétrécies de comfort européen, tu ne te doutes pas probablement que trois chasseurs aient besoin d’une douzaine d’éléphans, d’autant de chevaux, et de quelque chose comme cent cinquante serviteurs : syces, cuisiniers, berats, khonsommahs, abdars, mistis, métors, et autres variétés de l’espèce domestique, j’allais dire de l’espèce humaine, sans lesquelles l’Européen ne saurait se déplacer en ces contrées lointaines.

Le camp se compose d’une grande tente (mess lent) où nous prenons nos repas, et de quatre tentes de moindre dimension. L’une d’elles, vide en ce moment, est destinée à un officier d’artillerie que nous attendons aujourd’hui ou demain. Les autres tentes qui servent de chambre à coucher à Hammerton, au docteur Hall et à moi-même, équipées uniformément et avec une grande simplicité, ne laissent cependant rien à désirer au point de vue du comfort de leurs hôtes.