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eaux sacrées. Et le palais du roi de Dehli! et le Tarje d’Agra, cette- poétique mosquée de marbre blanc! Que de souvenirs pour toi, que de choses à raconter à tes amis !

Ce n’est pas sans intention que je viens d’écrire le nom célèbre du Tarje, qui me sert de transition pour te demander de réparer un méfait dont mon héritier présomptif s’est rendu coupable. Suivant tes recommandations, j’avais fait monter en broche la mosaïque du Tarje que tu m’as envoyée, et offert ce bijou de ta part à ma femme; mais la première fois que Pauline se servit de l’épingle pour attacher son châle, master Henri, émerveillé de cette nouveauté, voulut en apprécier tous les détails, et réclama la broche avec des accens si énergiques que ma femme n’eut pas le courage de lui tenir tête. Sa confiance ne fut pas justifiée : au bout de quelques instans, la mosaïque s’échappait des mains de l’enfant, et s’éparpillait en morceaux sur le marbre de la cheminée. Tu comprends facilement le chagrin de Pauline; aussi me fais-je une joie de lui présenter bientôt, grâce à toi, la jumelle de l’épingle qu’elle a tant regrettée.

Garde-toi bien surtout de conclure de ce récit que mon prince charmant soit un enfant gâté et volontaire. Je te le donne pour un petit être plein de bonnes qualités et de belle humeur, lorsqu’il n’a ni faim ni soif, et que ses dents le laissent en repos. Je n’ai pas au reste besoin de flatter le tableau pour recommander master Henri à ton indulgente tendresse ; je ne saurais douter que tu n’aies conservé ton amour instinctif pour les enfans. Si j’en voulais une preuve, je la trouverais dans l’affection que tes lettres témoignent pour ce charmant petit Anglais qui s’est épris pour toi de folle passion, et qui dans son baragouin exotique te salue du nom pompeux de frenchman sahib ! en langue vulgaire : seigneur français sans doute. Quelque habitué que tu puisses être à ces bizarres appellations, je n’en suis pas moins convaincu que les noms de cousin Henri, plus respectueusement oncle Henri, que ton filleul murmure déjà d’une voix fort intelligible, arriveront en temps et lieu tout droit à ton cœur.

Tu dois comprendre par ces lignes avec quel soin je lis, relis, étudie ta correspondance. Je ne cherche pas seulement dans tes lettres des études de mœurs ou de paysages, mais des détails sur ta vie intime, sur les émotions de ton cœur. Tu ne saurais croire combien j’ai de reconnaissance pour les hôtes affectueux que tu rencontres sur ta route, combien je serais heureux de rendre un jour à quelques-uns d’entre eux les bons procédés dont ils t’ont comblé. Au milieu de ces braves gens qui, sur la terre étrangère, t’ont accueilli à leurs foyers en vieil ami, il en est deux surtout qui ont vivement piqué ma curiosité. Ai-je besoin de te nommer ces hôtes de Min-