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pas la doctrine de la liberté économique. Il ne suffit pas de l’appliquer en matière de douanes; il faut encore en pénétrer la société tout entière, l’introduire dans les mœurs, dans les idées, dans tous les ordres de faits et d’intérêts. Rien n’est plus contraire à ce noble et fécond principe que l’appel incessant aux secours de l’état. Les monopoles dont on se plaint n’ont pas d’autre origine. L’état n’a charge que des intérêts généraux. Dès l’instant qu’on s’habitue à chercher hors de soi, hors des lois qui régissent tout le monde, un point d’appui exceptionnel et privilégié, le véritable esprit d’entreprise disparaît, et en encourageant quelques efforts partiels, faibles et mal dirigés, l’état brise le seul ressort qui puisse agir partout à la fois, parce qu’il se retrouve tout entier dans chaque personne.

L’opération du reboisement des montagnes soulève moins de doutes, en ce qu’on l’a toujours regardée comme ne pouvant être entreprise et menée à bien que par l’état. Là encore, comme pour l’abolition des prohibitions, on retrouve un précédent considérable. Un rapport du ministre des finances, inséré au Moniteur du 3 février, constate qu’un projet de loi à cet effet avait été présenté en 1847. Des études faites alors et reproduites aujourd’hui portent à 1,133,000 hectares l’étendue des terrains à reboiser. La plus grande partie se trouve dans les Alpes, les Pyrénées, les Cévennes, les montagnes de l’Auvergne. Sans la révolution de février, les travaux de reboisement seraient commencés depuis dix ans: il est bien temps de les reprendre.

Un autre rapport signé de trois ministres, et inséré au Moniteur du 21 janvier, fait connaître un projet plus nouveau et plus difficile. Ceux des terrains communaux qui seront reconnus cultivables par un décret impérial, délibéré en conseil d’état, devront être défrichés, assainis et mis en culture par les communes elles-mêmes, et à leur défaut par l’état. Ce plan est encore une dérogation aux principes de l’économie politique, en ce qu’il fait faire par l’état ce qui est ordinairement confié aux intérêts privés. Il n’en est pas de la mise en culture comme du boisement : d’un côté, il suffit de semer une fois et de garder ensuite, pour laisser à elle-même la puissante végétation des grands arbres; de l’autre, il faut défricher, assainir, irriguer, bâtir des fermes, les peupler d’hommes et de bétail, fumer, ensemencer, récolter, puis labourer, fumer, semer encore, et ainsi de suite. Pour se trouver en bénéfice au bout de tous ces frais, il faut une surveillance incessante, que l’état ne peut pas exercer. Qu’est-ce d’ailleurs qu’une somme de 10 millions pour une si colossale entreprise? Avec 100 francs par hectare, on peut boiser une terre inculte; pour la mettre en culture, il en faut au moins 1,000. Même en admettant, ce qui est fort douteux, que l’état rentre dans