Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/967

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des débuts. Malheureusement il n’en est pas ainsi : elles ne sont pas arrivées, comme les industries des tissus, à ce point où la concurrence intérieure a produit les mêmes effets que la concurrence étrangère. Affaiblies par la protection, elles ont encore besoin d’être défendues contre les fers anglais. Nous ignorons, faute d’enquête préalable, jusqu’à quel point elles le seront par les nouveaux droits. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il serait douloureux pour les partisans de la liberté commerciale de voir inaugurer le triomphe de leurs idées par des catastrophes dans une de nos plus vitales industries. Si ce malheur arrivait, nous ne pouvons que décliner d’avance toute solidarité. Ce n’est pas la doctrine de la libre concurrence, c’est la manière dont elle est appliquée qui peut seule être responsable des conséquences possibles d’une trop grande précipitation.

Nous avons rapidement passé en revue tout ce qui touche à notre régime douanier. On voit maintenant pourquoi nous n’attendons pas de grands résultats de la réforme annoncée, et pourquoi nous aurions préféré la voir s’accomplir, même au prix de quelques retards, par les moyens ordinaires de la discussion. Le fait capital, véritablement important, c’est l’abandon formel du principe protecteur. Voilà un grand pas assurément, même quand les applications immédiates n’auraient que peu de portée; mais il ne sera véritablement certain qu’autant que l’opinion publique l’aura sanctionné. Il faut toujours en revenir à la discussion : mieux eût valu l’avoir avant qu’après. N’oublions pas qu’en pareille matière le mal d’imagination a sa gravité. La protection, excepté pour le fer, n’est plus qu’une fausse apparence, un mot vide de sens, qui peut disparaître sans inconvéniens comme sans grands avantages; mais les esprits n’y sont pas préparés, et tant que la discussion ne les aura pas éclairés, ils peuvent s’alarmer outre mesure. C’est ce qu’il eût été désirable d’éviter.

Parmi les fantômes qu’éveille ce mot si redouté de libre échange, il en est un, le plus effrayant de tous, qu’il faut absolument dissiper. On a cru, sur la foi de quelques paroles imprudentes, que chaque nation avait un nombre très limité d’industries naturelles que la libre concurrence entre les peuples laisserait seules debout. De là chez chaque producteur la crainte de se trouver parmi les industries condamnées, et l’imagination aidant, on arrivait bien vite à se persuader qu’en France aucune production, ni industrielle, ni même agricole, ne pouvait se soutenir sans protection. Cette illusion singulière a fait tout le mal. On ne saurait redire assez qu’il n’en est rien, que la Providence a rendu au contraire les grandes industries possibles partout à la fois, qu’au lieu d’être la règle, les produits réellement localisés sont l’exception, et que, pour ceux-là, la pro-