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mot pour caractériser ce système d’exclusion : il déshonore notre tarif. La prohibition est un des plus tristes legs de la révolution et de l’empire; elle a pris naissance en 1793, lors de la guerre de la convention contre l’Angleterre, et s’est tout à fait enracinée sous l’empire, à l’abri des absurdités du blocus continental. Au retour de la paix, la restauration a eu le tort de maintenir cette mesure de guerre; elle n’a pas tardé à s’en repentir. Dès 1816, M. de Saint-Cricq proposait de supprimer les prohibitions et de les remplacer par un droit de 15 à 18 pour 100; cette offre fut repoussée par les chambres. Sous la monarchie de 1830, la même tentative a été faite à plusieurs reprises par le gouvernement, qui a fini par arracher plusieurs concessions de détail, mais qui n’a pu ébranler le principe. En 1847 cependant la question avait paru mûre, et un projet de loi avait été présenté, qui portait un coup décisif à la prohibition; ce projet a disparu dans la malheureuse révolution de février, qui a ajourné tant d’œuvres utiles. Le gouvernement impérial l’a repris en 1856, mais a cru devoir l’ajourner encore devant l’opposition présumée du corps législatif.

Il est à regretter que cette question se présente aujourd’hui, compliquée des appréhensions que suscite un engagement international. Livrée à elle-même, le gouvernement l’eût probablement emportée en 1856, s’il avait insisté, et plus probablement encore le succès eût été complet et définitif en 1861. Le traité n’en a pas avancé le moment, puisque la levée des prohibitions n’aura lieu qu’à la même époque. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons qu’applaudir au principe. Toutes les nations ont renoncé à cet engin barbare, le tour de la France doit venir enfin. Que le traité devienne exécutoire ou non, il est bien à désirer que des mesures législatives, librement adoptées après examen contradictoire et public, lèvent la prohibition pour les marchandises étrangères de toute origine, comme pour les marchandises anglaises.

Quant à l’effet, il sera nul, ou peu s’en faut. La prohibition a fait beaucoup de mal depuis quarante ans, en retardant le progrès de nos industries; aujourd’hui elle n’est plus qu’inutile. La concurrence intérieure a fini par produire à la longue les mêmes résultats qu’aurait produits plus tôt la concurrence étrangère. Nos manufactures sont devenues, en dépit de la prohibition, assez puissantes pour ne craindre désormais personne. Même sans parler des expositions universelles de Londres et de Paris, qui ont démontré jusqu’à l’évidence la supériorité de la plupart de nos produits, nous en avons tous les jours sous nos yeux une preuve sans réplique. Nous rencontrons sur les marchés étrangers la concurrence des marchandises prohibées chez nous, et nous en triomphons. La presque totalité de nos expor-