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mais l’âme souffre. Cette femme à chaque instant est blessée dans sa pudeur, menacée dans sa chasteté ; cette épouse vit loin de son mari, ne prenant pas même ses repas avec lui, et ne le retrouvant que le soir, quand ils arrivent l’un et l’autre de leurs ateliers, épuisés et haletans ; cette mère n’embrasse pas son enfant à la clarté du soleil, elle ne le tient pas dans ses bras, elle ne le dévore pas de ses yeux charmés, elle n’assiste pas à ses premiers bégaiemens, elle n’a pas les prémices de ses premiers sourires. Étrange illusion de ces mécaniciens de la vie sociale qui font tout par des rouages : la crèche pour l’enfant au berceau, l’atelier pour l’âge mûr, l’hospice pour la maladie et la vieillesse ! Ils songent à tous les besoins de la nature humaine, excepté à ceux du cœur, dont ils ne sentent pas les battemens. Ils auront grand soin de mesurer la quantité d’air et de nourriture qu’il faut à une ouvrière, ils proposeront des lois pour que son travail ne soit pas prolongé au-delà de ses forces ; mais ils ne feront rien pour que cette ouvrière puisse être une femme. Ils ne savent pas que la femme n’est grande que par l’amour, et que l’amour ne se développe et ne se fortifie que dans le sanctuaire de la famille.

Quand on aura donné la dernière perfection aux ateliers, aux crèches, aux écoles, aux hôpitaux, quand il sera bien démontré que, grâce à ces conquêtes de la philanthropie, l’ouvrier trouve plus de comfort dans la vie commune qu’il n’en pourrait rêver dans la vie de famille, le seul fait que les femmes sont entraînées avec leurs maris et leurs enfans dans cette nouvelle organisation où les affections intimes ont si peu de place constituera un véritable malheur social. Les femmes sont faites pour cacher leur vie, pour chercher le bonheur dans des affections exclusives, et pour gouverner en paix ce monde restreint de la famille, nécessaire à leur tendresse native. La manufacture, qui a quelque chose du couvent et de la caserne, sépare les membres de la famille contre le vœu de la nature ; elle substitue à l’autorité du mari et du père l’autorité du règlement, du patron et du contre-maître, et les froids enseignemens du maître d’école à cette morale vivante qu’une mère fait pénétrer avec ses baisers et ses larmes dans le cœur de son enfant. Pour que les mœurs conservent ou retrouvent leur pureté et leur énergie, la première de toutes les conditions, c’est que la femme retourne auprès du foyer, la mère auprès du berceau. Il faut que le chef de la famille puisse exercer la puissance tutélaire qu’il tient de Dieu et de la nature, que la femme trouve dans son mari le guide, le protecteur, l’ami fidèle et fort dont elle a besoin, que l’enfant s’habitue sans y penser aux soins et à la tendresse de sa mère. Il faut même qu’il y ait quelque part un lieu consacré par les joies et les souffrances com-