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muent pas le hoyau, ont bien vite la main légère ; elles apprennent bien vite à exagérer la propreté, et leur maison y gagne en même temps que leur état. Souffrons, puisqu’il le faut, qu’un homme manie la navette et reste assis à l’ombre treize heures par jour; cependant il vaut mieux pour lui suivre ses grands bœufs et marcher dans la terre fraîchement remuée. Il est plus à sa place dans les sillons de son champ, dans les herbes humides de ses prés. Il y déploie mieux sa vigueur, il y sent plus complètement sa dignité. Ce mâle labeur est fortifiant pour son corps et pour son âme. La femme au contraire ne s’accoutume que malaisément à ces brusques transitions du froid ou du chaud; elle a peine à conduire un attelage, ses mains ne sont pas faites pour la pioche et le râteau ; son corps succombe sous le faix des grandes gerbes qu’il faut porter au chariot ou à la meule. Pendant qu’elle sarcle ou qu’elle fauche, dépensant beaucoup de peine pour peu de besogne, la maison reste vide et l’enfant est abandonné. On se plaint de la désertion de la campagne; à quoi tient-elle? A l’abaissement des salaires. — Les manœuvres vont se faire journaliers à la ville parce que le travail dans les villes se paie moitié plus ; le père envoie ses enfans en apprentissage à Lyon parce qu’il y gagnera plus tard des journées de 4 francs, tandis qu’il arrive difficilement à 1 fr. ou à 1 fr. 50 dans les plaines du Dauphiné. Si dans chaque ferme les femmes gagnaient de bonnes journées au travail de la soie, il en résulterait une grande aisance pour la maison; le laboureur, privé du concours de sa femme et de ses filles, appellerait un ouvrier à son aide en le payant bien. Un bon ouvrier fait la besogne de trois femmes. Le premier principe économique est d’appliquer tout producteur à l’ouvrage auquel il est propre.

Les résistances, autant qu’on peut le présumer, viendront d’en bas plutôt que d’en haut. L’esprit de routine retient seul encore les fabricans; mais les chefs d’atelier ont tout à perdre à cette transformation. Il s’agit pour eux de rentrer dans les rangs des simples ouvriers, et de renoncer à l’importance individuelle et collective que comporte leur situation actuelle. Les compagnons, qui ne pourraient que gagner à la suppression des maîtres, y répugnent aussi : le séjour de la ville a un grand attrait pour eux ; ils ne pourraient plus se faire aux habitudes de la campagne. On trouve ce sentiment même chez les femmes. La ville les tente par leurs mauvais côtés, par le luxe, par les plaisirs, les spectacles. Une fois habituées à ne dépendre que d’elles-mêmes aux heures où l’atelier ne les réclame pas, elles ne pensent pas volontiers à reprendre le joug des habitudes domestiques, ce joug si doux à porter quand on n’a pas fait l’essai d’une liberté maladive et fatale. Au fond, il ne peut être question de renvoyer chez eux les ouvriers de la ville; tout ce qu’on peut faire, c’est