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jeunes filles ont au moins la liberté de leurs dimanches, une liberté relative dans les ateliers, peut-être quelquefois une promenade ou une causerie le soir après la journée de travail. Ici tout est bien austère pour des enfans de treize à dix-huit ans. C’est bien plus que le couvent, car c’est le couvent avec douze heures de travail. On se demande en quoi ce régime peut différer de celui d’une maison de correction. Cependant au premier appel les familles sont accourues, preuve évidente qu’elles avaient le sentiment du péril auquel le séjour de Lyon expose les apprenties sur lesquelles les parens ne peuvent pas veiller. Quoique ces fondations ne datent pas de loin, on a déjà pu constater que les jeunes filles trouvent plus aisément à se marier en sortant de Jujurieux. Les fabricans qui ont fondé ces écoles n’en retirent pas de profit, obligés qu’ils sont de marcher en tout temps à cause de leur personnel et de leur outillage. En un mot, c’est rendre un service aux jeunes ouvrières lyonnaises que de les enfermer pendant trois ans, en les assujettissant à un travail de douze heures par jour. Ce seul fait éclaire mieux leur situation que tous les détails dans lesquels nous sommes entrés. L’archevêque de Lyon vient de fonder une communauté de religieuses pour fournir des surveillantes aux fabricans qui voudront entrer dans la voie des pensionnats d’ouvrières. Il est impossible de ne pas reconnaître qu’en agissant ainsi il reste dans le véritable esprit de l’église catholique, et il faut ajouter que cette transformation de la condition des jeunes ouvrières est un progrès sur ce qui existe aujourd’hui, car le plus grand intérêt d’un père et d’une mère obligés de se séparer de leur fille est d’être rassurés sur sa conduite morale. On nous permettra cependant d’avouer d’une manière générale notre éloignement pour ces agglomérations de personnes, qui substituent la communauté à la famille, le règlement à l’affection. Cet internement peut être un bien par comparaison ; mais en lui-même il est un mal.


III.

Il est assez curieux de remarquer que, tandis que le clergé catholique, poursuivant un but désintéressé et charitable, pousse à la transformation de la fabrique en manufacture, certains économistes y poussent aussi par des raisons tout opposées, pour diminuer les frais de la fabrication par l’emploi du moteur mécanique. De tous côtés, on semble prévoir le moment où le moteur mécanique chassera la force humaine. On n’aura pas même besoin de recourir à la vapeur, puisque les départemens de l’Isère, de l’Ardèche, de la Loire et de la Haute-Loire sont sillonnés en tout sens par de nombreux