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qui interdisait de les faire travailler entre neuf heures du soir et six heures du matin. Et comme le bill n’imposait ces restrictions qu’au travail des apprentis, et non au travail des enfans, les fabricans en furent quittes pour ne plus signer de contrats d’apprentissage. La loi protectrice de 1802 fut étendue en 1819 à tous les enfans, apprentis ou non, au-dessous de seize ans. En 1825, trois heures furent retranchées au travail de chaque samedi. En 1833, sur la proposition de lord Ashley, on divisa les enfans en deux catégories : de 13 à 18 ans, ils travaillèrent 69 heures par semaine, soit 11 heures 1/2 par jour; de 8 à 13 ans, leur journée fut limitée à 8 heures. Enfin le 15 mars 1844 sir Robert Peel le ministre fit réduire à 6 heures 1/2 le travail des enfans dans cette dernière classe. Un personnel salarié, créé par la loi de 1833 et composé de quatre inspecteurs-généraux et de nombreux sous-inspecteurs, tient la main à l’exécution des règlemens.

Il est digne de remarque que la France a encore plus de peine que l’Angleterre à s’accommoder du principe de la limitation du travail des enfans. En général, le citoyen est beaucoup plus passif de ce côté-ci du détroit; la centralisation, qui règne despotiquement sur nous depuis plusieurs siècles, nous a déshabitués de l’initiative, et l’on nous gouverne en une foule de choses que nos voisins n’abandonneraient pas à la tutelle de leur gouvernement. En revanche, les Anglais, qui ont moins de lois, leur obéissent mieux et plus volontiers; c’est peut-être parce qu’on ne leur impose que les lois les plus indispensables. Notre loi sur le travail des enfans date de 1841; elle admet, comme la loi anglaise, la distinction proposée par Wilberforce en 1819 entre les plus jeunes enfans et les adolescens. La première classe comprend en Angleterre les enfans de 8 à 13 ans; en France, ceux de 8 à 12 : ainsi la protection se relâche chez nous un an plus tôt. En Prusse, il faut avoir 14 ans pour entrer dans une manufacture. Les enfans de 8 à 12 ans peuvent travailler chez nous 8 heures sur 24, et par conséquent 1 heure 1/2 de plus qu’en Angleterre, ce qui est très considérable : 8 heures de travail pour un enfant de 8 ans! Chez nos voisins, les enfans d’un âge plus avancé ne peuvent être employés au travail effectif que pendant 11 heures 1/2 sur 24; nous tolérons 12 heures de travail effectif. Enfin, malgré notre ruineuse et énervante manie de créer à tout propos des fonctionnaires, nous n’avons pas d’inspection réelle pour le travail des enfans, ce qui rend la loi impuissante et presque inutile. La loi française ne s’applique d’ailleurs qu’aux manufactures, usines et ateliers à moteur mécanique ou à feu continu, et aux fabriques occupant plus de vingt ouvriers réunis en atelier. Or les ateliers de la fabrique lyonnaise ne renferment jamais plus de six ouvriers, et l’administration n’a pas usé du droit qui lui est con-