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avoir le cœur serré, les tisseuses sont des ouvrières privilégiées: elles sont, après les maîtresses, l’aristocratie de la fabrique. Les ovalistes ou moulinières, qui travaillent constamment debout pendant treize heures, ne gagnent que 8 francs par semaine; à certaines époques, leur salaire est tombé à 70 centimes par jour. En général, elles se nourrissent chez les maîtres, qui leur trempent une soupe le matin pour 5 centimes, et leur fournissent un plat à midi pour 25 centimes, le pain restant à leurs frais ainsi que le vin, si elles en boivent. La soupe des ovalistes est passée en proverbe à Lyon. Cette nourriture insuffisante absorbe les deux tiers de leur salaire, si chèrement gagné. Les dévideuses, surtout les dévideuses de trames, ne sont pas dans des conditions meilleures. Elles travaillent chez des maîtresses qui prélèvent la moitié de leur salaire, comme cela se pratique dans les ateliers de tissage. La journée, après ce prélèvement, flotte entre 1 fr. et 1 fr. 25 c. pour treize ou quatorze heures de travail. On leur trempe la soupe deux fois par jour. Les dévideuses d’organsin gagnent un peu plus, parce qu’elles travaillent pour les fabricans et non pour les chefs d’ateliers, et parce que l’organsin (la soie des chaînes) a en général plus de valeur que le fil de trame. Les canetières, qui disposent la soie sur les canettes, ne gagnent que 1 fr. pour des journées de douze heures. On leur trempe la soupe deux fois, comme aux dévideuses. Les ourdisseuses, dont le salaire est aussi de 1 franc à 1 franc 25 cent, par jour, sont nourries par les maîtres qui les emploient. Dans les bons ateliers, on a une ourdisseuse à l’année pour 100, 125 ou 150 francs de gages. Cela est plus avantageux pour l’ouvrière, parce qu’elle est nourrie, blanchie et logée; mais alors elle se charge des gros ouvrages de la maison, où elle est plutôt considérée comme servante que comme ouvrière. Les gages d’une domestique ordinaire dans une maison bourgeoise de Lyon sont plus élevés. Les metteuses en mains sont mieux traitées que les ourdisseuses : leur journée est de 2 fr. au moins, et leurs gages, quand on les prend à l’année, sont de 200 à 250 francs. C’est qu’elles travaillent pour les fabricans, et qu’elles sont employées à un métier où le vol qu’on appelle le piquage d’once est assez facile. Leur besogne consiste à subdiviser un paquet d’un certain poids en portions plus petites, désignées sous les noms de mains, pantines et flottes. La pantine se compose de deux, trois ou quatre flottes, et il faut quatre pantines pour faire une main. Les liceuses, qui fabriquent les lices ou réseaux de longues mailles entre lesquelles passent les fils de la chaîne des étoffes, ont un état peu fatigant, mais qui ne donne pas de quoi vivre. Les liseuses, qui font les cadres au moyen desquels on perce les cartons, gagnent quelquefois par jour jusqu’à 1 franc 75 cent.: elles sont sujettes à de fréquens chômages. Les tordeuses, qui pla-