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qui constituent la limite inférieure, dernier terme de la dégradation possible. Les monstruosités, les aberrations de la nature ont leurs bornes. Précisément parce qu’elles résultent de l’action de certaines causes qui tendent à déranger l’évolution régulière de l’individu, elles ne peuvent totalement effacer le type dont la persistance résiste pied à pied à l’action perturbatrice. Les anciens anatomistes, écrit M. I. Geoffroy Saint-Hilaire, paraissent n’avoir pas même soupçonné que les anomalies de l’organisation aient des limites, et à plus forte raison qu’elles soient réductibles à des lois certaines et précises ; c’est ce qui explique ce que l’on a rapporté de quelques monstres, fantastiques créations d’une imagination qui prêtait à la nature ses caprices et ses conceptions impossibles.

Il me reste à examiner, pour achever de passer en revue les diverses causes de dégénérescences, celles que j’ai appelées morales.

L’observation a démontré que si les lésions du physique produisent plus ordinairement le délire, l’aliénation mentale trouve son origine la plus fréquente dans un trouble profond du moral. Quelques statistiques dressées en France et en Angleterre, et dans lesquelles les cas de folie sont rangés par causes, ont mis le fait en évidence. Les passions et les vices, les préoccupations exclusives et les chagrins, toutes les affections profondes de l’âme en un mot, réagissent sur le cerveau et le système nerveux et peuvent y développer des altérations aboutissant à une dégénérescence physique et morale. Chez le fou, les idées ne sont pas seulement bouleversées ; à l’incohérence de la pensée s’associe une perversion plus ou moins étendue des sentimens. Des croyances chimériques, des opinions étranges provoquent des passions qui ne peuvent se contenir, et fatalement la surexcitation nerveuse imprime à tous nos sentimens une violence qui en fait des passions. L’intelligence n’est plus le siège d’opérations régulières qu’appelle la volonté et que coordonne le jugement, c’est l’instrument passif ou plutôt automatique d’une foule de pensées et de conceptions se produisant à la façon des rêves et se présentant avec une irrésistibilité qui enchaîne la volonté et finit par l’anéantir. C’est assurément le dernier terme de la dégénérescence morale, de l’abrutissement complet, puisque l’homme perd alors ce qu’il y a en lui de plus noble et de plus élevé. Quoique l’intelligence soit seule attaquée, le type physique ne peut échapper à la dégradation dont le moral est atteint. Le fou ne tarde pas à présenter dans ses traits, son regard, son aspect, ses mouvemens, je ne sais quoi de désordonné et d’étrange qui produit sur notre esprit une impression pénible, qui peut même agir assez vivement pour troubler notre raison et nous communiquer la maladie mentale que nous avons trop souvent sous les yeux ; de là cette contagion de