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de bon goût, de rectitude morale, je dirai même de disposition à l’activité, car les femmes, quand nos préjugés ne les gâtent point, aiment le travail, elles sont industrieuses ; ces mollesses et ces langueurs où nous voyons tomber leurs esprits et leurs organes leur viennent de nous et non pas de la nature. Même pour la seule tâche dont elles sont encore en possession, pour la tâche d’élever leurs filles et de commencer l’éducation de leurs fils, croit-on qu’elles y soient propres, quand elles ne donnent point l’exemple d’une activité sagement dirigée, quand leur esprit manque de cette solidité que peuvent seuls donner le contact des affaires et l’habitude des réflexions sérieuses ? Admettons que les femmes soient aussi frivoles qu’on le prétend, ce qui est loin d’être établi : on ne comprendra jamais quel intérêt la société peut avoir à entretenir, à développer cette frivolité, ou pourquoi notre monde affairé et pratique s’efforce de conserver aux femmes le triste privilège d’une vie à peu près inoccupée.

Il faut avouer que, si les femmes riches ne travaillent pas assez, en revanche la plupart des femmes pauvres travaillent trop. C’est pour elles que les soins du ménage sont pénibles et absorbans. Il y a une grande différence entre donner des ordres à une servante ou être soi-même la servante, entre surveiller la nourrice, la gouvernante, l’institutrice, ou suffire, sans aucun secours, à tous les besoins du corps et de l’esprit de son enfant. Les heureux du monde qui se contentent de secourir les pauvres de loin ne se doutent guère de toutes les peines qu’il faut se donner pour la moindre chose quand l’argent manque, de la bienfaisante activité que déploie une mère de famille dans son humble ménage, pour que le mari, en revenant de la fatigue, ne sente pas trop son dénûment, pour que les enfans soient tenus avec propreté, et ne souffrent ni du froid ni de la faim. Souvent, dans un coin de la mansarde, à côté du berceau du nouveau-né, est le grabat de l’aïeul, retombé à la charge des siens après une dure vie de travail. La pauvre femme suffit à tout, levée avant le jour, couchée la dernière. S’il lui reste un moment de répit quand sa besogne de chaque jour est terminée, elle s’arme de son aiguille et confectionne ou raccommode les habits de toute la famille, car elle est la providence des siens en toutes choses, c’est elle qui s’inquiète de leurs maladies, qui prévoit leurs besoins, qui sollicite les fournisseurs, apaise les créanciers, fait d’innocens et impuissans efforts pour cacher l’excès de la misère commune, et trouve encore, au milieu de ses soucis et de ses peines, une caresse, un mot sorti du cœur, pour encourager son mari et pour consoler ses enfans. Plût à Dieu qu’on n’eût pas d’autre tâche à imposer à ces patientes et courageuses esclaves du devoir, qui se chargent avec tant de dé-