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crâne des autres animaux, c’est à peine si l’on en trouve quelques traces. Un fait curieux et dont on doit la constatation à M. Gratiolet, c’est que les nègres rappellent à cet égard les idiots et même les singes. Chez eux, l’ossification complète des sutures est beaucoup plus précoce que chez les blancs. Et tandis que certains hommes de notre race gardent pendant toute leur vie les pièces osseuses de la tête distinctes et simplement encastrées les unes dans les autres, les nègres et plusieurs races sauvages n’atteignent jamais la vieillesse avant que les sutures ne se soient totalement ossifiées. M. Gratiolet a même remarqué un ordre différent dans les oblitérations successives des sutures, en étudiant la tête des individus de race européenne, puis celle des sauvages et des nègres. Chez les nègres, le crâne se ferme d’abord dans sa partie antérieure ; chez les blancs, c’est la partie postérieure qui se soude la première. De là dans la marche de l’intelligence un phénomène très différent ; le nègre, comme l’idiot, comme les individus dégénérés, voit promptement le développement de ses facultés arrêté et comme emprisonné par l’enveloppe osseuse de la tête ; l’intelligence de certains blancs, au contraire, peut s’accroître pendant une période très longue de la vie, puisque les sutures ne s’ossifient souvent qu’à la vieillesse. M. Baillarger a rappelé qu’à l’autopsie de Pascal on avait reconnu que la suture frontale était demeurée ouverte pendant toute l’enfance, et n’avait pu se refermer à raison du prodigieux développement du cerveau ; il s’était formé un calus qui avait entièrement recouvert cette suture et que l’on sentait aisément au doigt.

Ce qu’on vient de lire achève de démontrer que la dégénérescence qu’on peut appeler congéniale n’est pas tant celle qui se manifeste à la naissance que l’arrêt de développement dont sont frappés les organes et l’appareil encéphalique en particulier, par suite d’un principe agissant dans l’organisme et qui est communiqué avec la vie. L’idiot, de même que le crétin et l’homme de race inférieure, atteint plus tôt que nous le terme de son évolution intellectuelle ; il est jusqu’à un certain point comme le chimpanzé et certaines grandes espèces de singes qui ne présentent toute leur intelligence que pendant la jeunesse, et deviennent stupides et apathiques dès qu’ils ont dépassé l’âge adulte. La vie même chez quelques idiots s’accomplit et s’épuise dans une plus courte période ; le crétin, par exemple, dépasse rarement quarante ans.

L’homme en naissant est conséquemment prédestiné à monter ou à descendre un nombre déterminé de degrés sur l’échelle de l’intelligence. Cette échelle est comme celle que Jacob voyait en songe, et le long de laquelle montaient et descendaient des anges ; mais de même qu’il y a certains échelons élevés que les esprits les mieux doués et les plus puissans ne sauraient dépasser, il y en a d’autres