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Moins actif qu’opiniâtre, il était aussi plus entreprenant que puissant. L’argent lui manquait sans cesse. Afin de payer l’armée qui défendait l’Italie, de fournir à la solde des lansquenets de Bourbon, d’entretenir le corps auxiliaire des Pays-Bas, de former et de mettre en mouvement les troupes destinées à envahir le sud de la France, il lui en fallait beaucoup plus qu’il n’en avait. Il avait demandé aux cortès des subsides qui lui étaient accordés avec parcimonie et par annuités[1]. Il avait taxé les ordres de chevalerie, imposé le clergé, levé la cruzada, pris même l’argent venu des Indes, et dont la plus grande partie appartenait à ses sujets[2]. Néanmoins les sommes qu’il avait retirées ou qu’il s’appropriait ainsi étaient insuffisantes pour ses besoins.

Charles-Quint avait eu de plus à lutter contre la mauvaise volonté de ses peuples. Les grands de Castille, qui avaient naguère soumis les comuneros, conservaient le vieil esprit de l’indépendance espagnole et ne se montraient pas disposés à seconder ses projets extérieurs ; ils lui avaient amené beaucoup moins de troupes qu’il n’en avait attendu, et ces troupes n’étaient ni bien zélées, ni même assez obéissantes[3]. Il leur avait fait passer les Pyrénées en septembre, non du côté de Perpignan comme on en était d’abord convenu, mais du côté de Bayonne, où il s’était ménagé des intelligences. Son armée, qui comptait presque autant d’Allemands que d’Espagnols, se porta sur cette ville, qu’elle espérait surprendre et enlever ; mais Lautrec, que François Ier avait chargé de la garde de cette frontière, se montra plus prévoyant et plus résolu qu’il ne l’avait été en Italie : il se jeta dans Bayonne et s’y défendit vaillamment. Durant plusieurs jours, il n’en quitta point les murailles et fit face au danger avec une infatigable vigilance et une intrépidité désespérée[4]. Il parvint ainsi à repousser les attaques de l’armée ennemie, que devaient seconder, du côté de la mer, les efforts d’une flotte dont les vents empêchèrent l’approche. Plus heureux en Guienne qu’en Lombardie, Lautrec couvrit le sud-ouest de la France, que les Espagnols évacuèrent après leur infructueuse tentative sur Bayonne.

Charles-Quint ne vit pas, sans quelque trouble et sans un peu de

  1. Les cortès de Castille, réunies à Palencia en juillet 1623, « le servieron con quatro ciento mil ducados pagados en tres anos. » Sandoval, Historia de Carlos-Quinto, lib. XI, § XV.
  2. Dépêche de Sampson, etc., à Henri VIII, du 12 novembre, à Pampelune. State Papers, t. VI, p. 193.
  3. Charles-Quint en fit lui-même l’aveu aux ambassadeurs d’Angleterre. Dépêche de Sampson et Jernigam à Henri VIII, du 12, à Pampelune. State Papers, t. VI, p. 192. — Charles-Quint le dit aussi au duc de Sessa dans sa lettre du 2 octobre. Correspondance, etc., p. 198.
  4. Mémoires de Du Bellay, t. XVII, p. 424, 425.