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Il fit auprès d’eux une tentative au printemps de 1523. Au moment où sa cause se plaidait devant la justice, entre les deux voyages de Beaurain en Angleterre pour y négocier sa défection, le connétable se rendit à la cour. Il y parut à l’heure où le roi François Ier et la reine Claude étaient à table dans des salles séparées. Il se présenta d’abord devant la reine, qui l’invita à s’asseoir près d’elle. Informé de son arrivée, François Ier acheva rapidement de dîner et vint dans la chambre de la reine. Le duc, en voyant le roi, se leva pour lui rendre ses devoirs[1]. « Il paraît, lui dit brusquement le roi, que vous êtes marié ou sur le point de l’être. Est-il vrai ? » — Le duc répondit que non ; le roi répliqua que si, et qu’il le savait ; il ajouta qu’il connaissait ses pratiques avec l’empereur et répéta plusieurs fois qu’il s’en souviendrait. « Alors, sire, repartit le duc, c’est une menace ; je n’ai pas mérité un semblable traitement. » — Après le diner, il se rendit à son hôtel, situé près du Louvre, où beaucoup de gentilshommes l’accompagnèrent en lui faisant cortège.

Il partit ensuite pour aller attaquer une bande de soldats aventuriers qui ravageaient, sans rencontrer d’obstacle, les bords de la Champagne et de la Bourgogne du côté de Paris[2]. Ce fut la dernière fois qu’il exerça ses fonctions de connétable. Après les avoir dispersés, il retourna dans le Bourbonnais en disant tout haut qu’il renverrait à François Ier son collier de l’ordre de Saint-Michel et son épée de connétable, parce qu’il aimait mieux aller vivre pauvre hors de France que d’être si peu estimé dans le royaume. Deux seigneurs de la cour passant par le Bourbonnais le visitèrent au château de Moulins. Le connétable demanda à Saint-André, l’un d’eux, ce que le roi voulait faire de lui et ce qu’ils en avaient entendu. Saint-André lui répondit que le roi n’aspirait point à ses héritages et qu’il serait plus disposé à les lui donner qu’à les lui prendre. Le connétable leur proposa de porter à François Ier une lettre pour le remercier des bonnes paroles qu’il avait reçues d’eux ; mais ils s’excusèrent l’un et l’autre de s’en charger. Le connétable vit dans ce refus le signe des véritables dispositions du roi. Il appela ces deux seigneurs des affectez[3], parce qu’ils n’auraient pas dû décliner son message à François Ier, si François Ier eût réellement manifesté les intentions qu’ils lui avaient attribuées. Il apprit au contraire que le chancelier Du Prat conseillait de le réduire à la condition d’un gentilhomme de quatre mille livres de rente[4]. Outré au dernier point, n’espé-

  1. Cette scène fut racontée par l’empereur au docteur Sampson, qui l’écrivit à Wolsey dans sa dépêche du 23 mars. — Musée britannique Vespasien, c. II, f. 117, original.
  2. Interrogatoire d’Escars. — Mss. 484, f. 251.
  3. Déposition d’Antoine de Chabannes, évêque du Puy. — Mss. 484, f. 183 r° et v°.
  4. Interrogatoire de l’évêque d’Autun du 26 octobre. — Mss. Dupuy, n" 484, f. 221 v°.