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nétable, dont l’épée, mise aux mains de plusieurs des ducs ses prédécesseurs, avait été confiée aux siennes par François Ier l’année même de son avènement à la couronne.

Le connétable de Bourbon était aussi dangereux qu’il était puissant[1]. Il avait de fortes qualités. D’un esprit ferme, d’une âme ardente, d’un caractère résolu, il pouvait ou bien servir ou beaucoup nuire. Très actif, fort appliqué, non moins audacieux que persévérant, il était capable de concourir avec habileté aux plus patriotiques desseins et de s’engager par orgueil dans les plus détestables rébellions. C’était un vaillant capitaine et un politique hasardeux. Il avait une douceur froide à travers laquelle perçait une intraitable fierté, et sous les apparences les plus tranquilles il cachait la plus ambitieuse agitation. Il est tout entier dans ce portrait saisissant qu’a tracé de lui la main de Titien, lorsque, dépouillé de ses états, réduit à combattre son roi et prêt à envahir son pays, le connétable fugitif avait changé la vieille et prophétique devise de sa maison, l’espérance, qu’un Bourbon devait réaliser, avant la fin du siècle, dans ce qu’elle avait de plus haut, en cette devise terrible et extrême : omnis spes in ferro est, toute mon espérance est dans le fer. Sur ce front hautain, dans ce regard pénétrant et sombre, aux mouvemens décidés de cette bouche ferme, sous les traits hardis de ce visage passionné, on reconnaît l’humeur altière, on aperçoit les profondeurs dangereuses, on surprend les déterminations violentes du personnage désespéré qui aurait pu être un grand prince, et qui fut réduit à devenir un grand aventurier. C’est bien là le vassal orgueilleux et vindicatif auquel on avait entendu dire que sa fidélité résisterait à l’offre d’un royaume, mais ne résisterait pas à un affront[2]. C’est bien là le serviteur d’abord glorieux de son pays qu’une offense et une injustice en rendirent l’ennemi funeste, qui répondit à l’injure par la trahison, à la spoliation par la guerre. C’est bien là le célèbre révolté et le fougueux capitaine

  1. En 1516, le provéditeur vénitien de Brescia, Andréa Trevisani, ambassadeur à Milan, disait de lui au conseil des pregadi : « Questo ducha di Borbon… a anni 29. Prosperoso traze uno palo di ferro niolto gajardamente, terne Dio, è devoto, human e liberalissimo ; ha de intrada scudi 120 milia, e per il stado di la madre (Anne de France), scudi 20 milia ; poi ha per l’officio di gran contestabile in Franza scudi 2,000 al mese, et ha grande autorità, e come li disse Mons’ di Longavilla, governator di Pavia, pol disponer di la mita del exercito del re ancora chel re non volesse a qual impresa li par. » Mss. Sumario di la Relazione di ser Andrea Trivixam… fatta in pregadi à di novembrio 1516, dans Sanuto.
  2. « Borbonius… in ore habebat Aquitani ejus scitum responsum qui rogatus a Carolo septimo, quo tandem præmio impelli posset, ut fidem sibi tot magnis rebus perspectam falleret : « Non tuo, inquit, here, regno, non orbis imperio adduci possim, contumelia tamen et stomachosa injuria possim. » Ferronius, De Rebus Gestis Gallorum, etc., in-fol. Basileæ, lib. VI, f. 136.