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core au passage. Aussi les raffineurs doivent-ils fournir à la consommation des sucres très durs, qui n’auraient aucun succès dans les autres pays, où le sucre le plus soluble est estimé le meilleur.

Le thé joue un grand rôle dans la vie des peuples de la Russie, et l’usage s’en répand de jour en jour dans les classes inférieures; pourtant il n’y a guère plus d’un siècle que cette plante aromatique a fait la conquête de l’empire. Dans toutes les classes de la population libre, le thé paraît sur la table deux fois par jour et donne son nom à deux repas. Le samovar est la bouilloire nationale, inconnue chez les autres peuples, qui sert à la préparation du thé; c’est une chaudière hémisphérique en cuivre, au centre de laquelle un réchaud reçoit le charbon, qui s’allume par le tirage d’un petit tuyau mobile. La théière se place sur le sommet du tuyau; elle est très petite et n’est destinée qu’à contenir l’essence de la plante. A la base de la chaudière est placé un robinet par où s’écoule l’eau bouillante; on verse dans un verre quelques gouttes de l’essence contenue dans la théière, puis on le remplit d’eau bouillante. Les Russes ne connaissent pas ces charmantes tasses chinoises tant estimées des amateurs anglais et français ; ils se servent tout simplement de verres à boire ordinaires. Le nombre de verres absorbé par un seul individu s’élève souvent à dix ou douze, qui représentent au moins le volume de trente tasses de Chine[1]. Presque tout le thé consommé en Russie arrive par caravanes, et il coûte beaucoup plus cher qu’en France, où les navires le transportent de Canton; il vaut 30 francs le kilogramme. L’affranchissement des serfs augmentera la consommation du thé dans une très forte proportion ; déjà le samovar commence à se faire voir dans les chaumières des paysans. Peut-être la Russie devra-t-elle à cette boisson salutaire d’écarter les dangers dont la menace l’abus de l’eau-de-vie, bien que l’infusion de la plante chinoise, prise en grande quantité, pousse rapidement, dit-on, à l’embonpoint.

Le commerce de détail souffre beaucoup de la difficulté des transports ; pour citer un seul exemple, le fer, qui revient à Perm à 140 francs la tonne, se vend 560 francs dans les provinces méridionales. Sans insister sur les avantages qu’on attend de l’établissement des chemins de fer, bornons-nous à montrer comment les marchands russes comprennent la vente au détail. Une boutique ressemble à un véritable bazar où se trouvent réunis les articles les plus divers : des comestibles et des objets de quincaillerie, des étoffes et de la vaisselle, du fer et des harnais de chevaux, des

  1. Voyez, sur la valeur alimentaire de cette boisson, l’étude de M. Payen dans la Revue du 1er janvier 1860.