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matière première de l’agriculture, on croit même qu’elle nuit à la qualité des produits. Les engrais sont tellement méprisés que pour s’en débarrasser on les jette dans les étangs et dans les cours d’eau, au point que des rivières autrefois navigables sont actuellement obstruées, et que le passage des bateaux y est impossible. En quelques endroits, on recueille le fumier, mais pour le convertir en briquettes larges et plates, et l’employer comme combustible pour le chauffage des maisons, où il donne à peu près la même chaleur que la tourbe. La valeur des engrais perdus chaque année égale au moins celle de la récolte. Le paysan petit-russien obtient sans fumer quatre grains pour un, soit huit ou dix hectolitres par hectare, parce que les élémens nécessaires aux plantes existent dans le sol des terres noires; s’il appliquait à la culture l’engrais qu’il méprise, il recueillerait huit ou dix grains pour un, soit vingt hectolitres, et cette récolte ne serait pas encore dans la proportion de la puissance du sol, car plus un champ possède de profondeur et d’ameublissement, plus il est susceptible de supporter l’engrais et de mûrir une forte récolte. Quelle somme énorme perdue chaque année ! Que de centaines de kilomètres de chemins de fer on pourrait établir avec la valeur de ces engrais jetés à l’eau!

Il faudrait remonter à l’enfance de l’art agricole pour trouver des instrumens plus élémentaires que ceux dont l’usage est répandu chez les paysans de la Petite-Russie. La terre est dans un tel état d’ameublissement, que les façons s’y donnent avec des outils de la plus grande simplicité. La seule résistance que la charrue rencontre dans le sol est due à la présence des racines de la culture précédente. Dans les terres qui ont été abandonnées au steppage, la difficulté du labour est pourtant assez grande, parce que les terres y sont en quelque sorte feutrées par les racines entre-croisées. Les gros labours s’exécutent avec une charrue à avant-train dont le soc soulève des bandes de douze pouces de largeur sur trois pouces de profondeur. On se sert plus ordinairement d’une araire plus simple encore que celle de Triptolème : une bûche grossière, longue d’environ trois pieds, reçoit dans son centre un piquet long d’un pied. Quant au travail fourni par cette machine embryonnaire, il n’est pas plus mauvais que celui de l’ariot dont on se sert dans le midi de la France. Le laboureur attelle sa paire de bœufs aux deux extrémités de la bûche, et il marche devant ses animaux sans regarder le sillon tracé par le soc. Avec un tel engin, la surface du sol est remuée, non retournée. D’ailleurs on n’emploie cet instrument que pour le second labour, et immédiatement avant la semaille. Un homme peut dans sa journée travailler environ deux hectares : qu’ajouter encore sur la facilité du sol et la faible dépense que nécessite la culture de ces terres fortunées? Les autres instrumens sont en rapport avec