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millet ou du sarrasin que l’on fait crever et cuire au four dans un vase d’eau; on ajoute sur le tout, réduit en pâte très épaisse, quelques cuillerées de graisse ou d’huile, et l’on mange le plus chaud possible; ce mets passe pour être d’une digestion facile. Ce n’est pas seulement dans les cabanes des serfs qu’on fait un usage quotidien du borche et du kâche ; les mêmes alimens paraissent invariablement sur la table des maisons aisées.

Lorsqu’on a observé dans tous ses détails la vie matérielle d’un pays, il reste à se demander dans quelle mesure ces habitudes journalières nuisent ou concourent à la prospérité de la population, c’est-à-dire si le nombre des habitans s’accroît ou diminue. Sans rechercher si ce phénomène dépend plutôt du climat que de la forme des gouvernemens, on ne peut méconnaître que l’accroissement de la population est le critérium de la somme de bien-être répandue dans une contrée. Dans les pays où les instrumens de travail sont à la portée des habitans, où le sol est fertile, la population se développe spontanément : la famille est une richesse en pareille circonstance; mais dans les contrées où le sol est ingrat, où des crises fréquentes paralysent l’industrie, la famille est au contraire une charge. En Russie, chaque recensement annonce une augmentation dans la population libre et une diminution dans les familles serves. On attribue la mortalité qui décime celles-ci à l’influence du climat, tandis qu’en réalité c’est à la négligence des habitans que revient la plus grande part de responsabilité. L’étranger qui parcourt les provinces de la Petite-Russie pendant l’hiver est témoin du peu de précautions que les parens prennent pour protéger les enfans contre la rigueur de la température; on ne peut guère traverser un village par un froid de 15 degrés sans que des enfans en chemise se montrent devant leur chaumière, courant dans la neige, les pieds nus. Quant aux personnes adultes, elles quittent une espèce d’étuve où la température atteint souvent 40 degrés de chaleur pour traverser la rue sans chaussures et à peine vêtues. Il résulte nécessairement de cette brusque transition des maladies inflammatoires qui emportent chaque année une grande quantité d’habitans. Les serfs prétendent que ceux de leurs enfans qui succombent ainsi n’auraient pu vivre longtemps, et que ceux qui doivent résister sont insensibles à cette sorte d’accidens. Il est bien certain que des soins plus attentifs, et surtout une instruction élémentaire plus étendue, mettraient les paysans à l’abri de cette cause de dépopulation.


III. — L’AGRICULTURE ET LES DEBOUCHES.

Si les points de vue pittoresques sont rares dans la Russie méridionale, au temps de la moisson, les récoltes présentent-un spec-