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faut une température de 40 degrés. Ils sont ordinairement nourris par les entrepreneurs des fabriques ; sous ce rapport, ils sont assez bien traités[1].

Quand la population d’un pays est surtout industrielle, les alimens ordinaires sont de bonne qualité, et les prix s’équilibrent d’après la richesse des élémens nutritifs qu’ils contiennent. Les alimens qui composent le régime du serf sont à un prix plus bas qu’en tout autre pays de l’Europe : le pain se vend moins d’un son la livre, et la viande deux ou trois sous; mais il faut signaler ici une singulière anomalie. Tandis que depuis quelques années la consommation du pain de froment a pris une grande extension en Europe, qu’en Irlande même l’usage du pain blanc a remplacé la nourriture exclusive autrefois fournie par les pommes de terre, la Russie méridionale, qui de tous les pays de l’Europe exporte le plus de blé, est précisément celui où l’usage du pain de froment est le moins répandu. L’emploi du seigle est exclusif pour tous les habitans, serfs et libres, et la farine de froment se vend régulièrement de 30 à 50 pour 100, livrée en sac et au moulin, plus cher qu’à la halle de Paris. Aussi peut-on dire que le froment n’est pour l’agriculture russe qu’une récolte purement industrielle, destinée à l’exportation. La farine de blé n’entre dans les ménages aisés que sous la forme de pâtisseries ou de pâtes préparées à l’italienne. Les Petits-Russiens prétendent que le pain de seigle possède une acidité particulièrement salutaire. On sait que la valeur nutritive du seigle n’est que les deux tiers de celle du froment, et ce singulier goût pour une céréale inférieure en explique la culture exclusive, bien que les frais soient les mêmes que pour le froment, et que le rendement soit moitié moindre.

La Russie méridionale produit une assez grande quantité de vins :

  1. Voici la note détaillée des provisions qui doivent être fournies aux ouvriers de la fabrique d’un seigneur de la Petite-Russie; on pourra juger, par la comparaison des prix, combien la vie y est plus facile qu’en France.
    Provisions à fournir pour chaque ouvrier pendant un mois.

    ¬¬¬

    2 pouds de farine de seigle (32 kilos) estimés 60 kopecks.
    1/2 poud de farine de sarrasin (8) — 16 —
    1/2 poud de gruau de millet (id.) — 17 —
    4 livres de sel (1 kil. 636 g.) — 6 —
    22 livres de viande de bœuf (9) — 44 —
    5 livres de lard salé (2 045) — 40 —
    Total de la ration d’un mois 1 r. 83 kopecks (7 fr. 32 c.)


    Le kopeck vaut 4 centimes, le rouble 4 francs. On remplace la viande et le lard par le poisson et l’huile pendant le carême et les jours maigres. Cette ration mensuelle coûterait deux ou trois fois autant en France; chaque ouvrier reçoit en outre une triple ration d’eau-de-vie dont la dépense par mois peut s’élever environ à 3 francs, ce qui donne pour la nourriture des travailleurs adultes une somme de trente-deux centimes par jour; les enfans ne consomment guère que la moitié de cette ration.