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gine est sans doute fort ancienne. La veille du jour où la jeune fille doit appartenir à l’époux, elle va trouver ses maîtres et quelques habitans du village; elle est vêtue simplement, et sa chevelure est éparse; elle se jette aux genoux de tous ceux qu’elle visite, et leur baise les pieds en demandant pardon. Les autres filles du village, qui l’accompagnent, sont au contraire parées de leurs plus beaux ajustemens. Il est d’usage de relever et d’embrasser la pénitente, qui reçoit un léger cadeau et offre en retour un petit pain de forme symbolique. Si la jeune fille se marie dans un autre domaine que celui de son seigneur, elle doit payer à celui-ci un droit de sortie appelé vêvodnoé. Le sacrifice de la chevelure d’une jeune mariée est ce qu’il y a de plus saillant dans la cérémonie des noces; voici l’un des couplets qu’on chante le plus souvent à cette occasion :


« Où est ton frère aîné, Marie, — qui a dénoué tes belles nattes? — Qu’a-t-il fait des rubans qui les ornaient? — Les a-t-il jetés dans le profond Dnieper? — ou les a-t-il offerts à ta sœur cadette? — Tes nattes, Marie, étaient serrées comme si le forgeron les eût tressées. — Qu’il vienne à présent les déforger, — et pour lui seront les rubans dorés. »


Enfin la cérémonie se termine par la coiffure du turban, qu’une femme âgée enroule autour du front de la mariée, en lui souhaitant le bonheur :


« Je couvre ta tête du platoke, ô ma sœur, — et je te donne le bonheur et la santé. — Sois toujours pure comme l’eau, — deviens féconde comme la terre. »


Le lendemain de la noce, la cérémonie n’est pas moins bizarre; te mari mène sa femme chez tous les habitans et leur montre le vêtement de la première nuit. On voit combien ces usages rappellent les mœurs patriarcales des plus anciennes sociétés. Le premier jour de mon arrivée en Russie, je fus témoin d’un spectacle assez étonnant pour un étranger: une femme d’environ quarante ans venait se plaindre à son maître d’avoir été battue par un paysan. Tout en exposant sa plainte, elle enleva sa chemise, qui retomba sur sa ceinture, et elle montra les ecchymoses qui sillonnaient son torse nu. Il y avait là beaucoup de monde ; mais la pauvre femme, tout entière à son indignation, n’éprouvait aucun sentiment de honte. Ce manque de pudeur s’associe en définitive à un sentiment de moralité assez rare en Occident.

Les femmes de la classe aisée suivent, en les exagérant quelquefois, les modes parisiennes. Elles ne portent que des robes d’été, même en hiver; les maisons sont si bien chauffées que les étoffes de laine n’y sont pas nécessaires, et à l’extérieur la fourrure dispense de robes chaudes; d’ailleurs les femmes sont très sédentaires