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ne coûte guère plus de 60 à 100 francs. Un village n’est qu’une agglomération d’un nombre plus ou moins grand de chaumières semblables.

Ce qu’on peut encore remarquer dans un village petit-russien, c’est l’église, le karchema, puis la maison seigneuriale. Dans les villages de faible importance, l’église est une simple tour en bois, carrée, coiffée de la calotte verte; mais dans les grands domaines le style byzantin est soigneusement conservé, et l’église, bâtie en briques sur le plan de la croix grecque, élève dans les airs sa coupole centrale, qui dépasse de toute sa hauteur les quatre petites coupoles. Partout la peinture vert-émeraude reluit au soleil : c’est la couleur nationale. Sauf les croix plantées au sommet des coupoles, on se croirait devant quelque mosquée moresque. Des peintures murales décorent les façades des églises russes, et l’intérieur de ces édifices est partout couvert des couleurs éclatantes qui caractérisent le culte grec. La maison seigneuriale est d’ordinaire habitée par un intendant, les seigneurs étant presque toujours absens de leurs villages. Elle est construite d’une façon un peu plus élégante que les chaumières des serfs; un portique en bois, en forme d’architrave, sert de vestibule au milieu de la façade. On trouve pourtant quelques châteaux dans certaines propriétés russes, non pas de ces manoirs qui rappellent la féodalité par leurs tourelles crénelées et leurs fossés, mais d’élégantes et belles constructions, d’une époque récente, et qui offrent presque toujours, comme les temples grecs, avec un seul rez-de-chaussée très élevé, deux façades à quatre colonnes isolées et surmontées d’un fronton. Ces constructions sont en briques recouvertes partout d’une teinte blanche qui fatigue la vue. Les toits sont en tôle de fer peinte de l’éternel vert-émeraude. Le karchema ou le kabake est un grand bâtiment traversé dans toute sa longueur par une remise où les voyageurs amènent leurs chevaux : c’est l’auberge du village, et le tenancier de cette dépendance seigneuriale a seul le privilège de débiter l’eau-de-vie aux habitans. Le karchema joue un grand rôle dans les mœurs de la population rurale; c’est là que tous les paysans, hommes, femmes, vieillards, enfans, passent la plus grande partie des jours de fête; c’est là que toutes les économies du peuple viennent se convertir en étourdissement et en ivresse. Les jeunes filles elles-mêmes s’y rendent, parées de leurs plus beaux atours, et elles y forment des danses où les garçons assistent seulement comme spectateurs. C’est au son d’un air mélancolique, ordinairement très peu varié, que les danseuses exécutent entre elles les figures. Si même le joueur ordinaire de vielle ou d’accordéon fait défaut, on danse en chantant toujours sur le même refrain. C’est au karchema qu’il faut observer