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talent. Elles sont élevées, saines, franchement libérales, strictement religieuses. La foi, la ferveur même, s’allient fort bien, chez l’auteur de John Halifax, à une grande indépendance de jugement, de vues et de doctrines. Sa morale est sévère; ni la liberté, ni la charité n’en sont cependant exclues. Ces femmes anglaises qui, en si grand nombre maintenant, parlent de haut à la foule étonnée, semblent prendre à cœur de faire entrer dans des voies larges, plus conformes à l’esprit du temps, au génie du siècle, la croyance qu’elles professent, croyance qui a eu, elle aussi, son ère d’austérité bigote, ses préjugés étroits, ses rigueurs impitoyables. Soumises, mais intelligentes et courageuses; pures, mais bien informées de toute chose; simples de cœur, intrépides d’esprit, conservatrices et progressives, elles tentent, dans la sphère où leur action peut s’exercer, la conciliation du passé avec le présent. Dans la pratique de cet apostolat littéraire, qu’elles prennent fort au sérieux, et qu’elles ont raison, après tout, de regarder comme très utile, elles ne montrent aucune timidité, aucun embarras. Elles ne s’effarouchent d’aucune vérité, si étrange que, sous leur plume virginale, cette vérité puisse paraître. En songeant à leur dédain de certaines convenances raffinées, au pas léger dont elles franchissent, hermines immaculées, le bourbier des réalités humaines, on se rappelle involontairement ces filles de Lacédémone qui descendaient sur l’arène de la palestre, étalant aux regards, sans une pensée qui les fît rougir, leur héroïque nudité. En même temps, il est vrai, averties par le bon sens pratique et difficile à égarer qui est l’apanage de leur race, ces belles prédicatrices laissent bien rarement passer dans leurs écrits une de ces idées paradoxales et spécieuses qui, sous un faux dehors de philosophie conciliante, donnent cours à quelque immoralité hypocrite. Leur sincérité audacieuse n’a rien d’effronté; leur curiosité, qui perce bien des voiles et franchit bien des limites, n’a rien de commun avec cet immonde appétit que le scandale éveille. Pour nous servir d’une de ces comparaisons bibliques qui leur sont familières, elles se jettent bravement dans la fournaise ardente, et la flamme s’écarte d’elles, protégées qu’elles sont par le Dieu dont elles propagent la parole.

Miss Mulock, nous l’avons déjà dit, appartient à l’école dont miss Brontë peut être regardée comme le chef. Qu’on ne s’y méprenne pas cependant, elle a son originalité propre, son rôle à part. Moins indépendante, moins individuelle peut-être que l’auteur de Jane Eyre, elle possède plus à fond l’art du romancier, sait mieux borner ses développemens, tourner un écueil, se débarrasser d’un personnage parasite, accentuer une physionomie, préparer un effet dramatique. Comme son modèle, elle aime à étudier l’incessante action des faits