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venus entre eux, se lever inquiet pour aller s’assurer de son retour au logis commun. Enfin, et c’est la punition suprême, par-dessus l’épaule de la jeune governess que Tristan aimait et dont il a cru pouvoir soupçonner la tendresse, son âme lit une lettre où sont exprimés avec une éloquence simple et vraie les sentimens les plus purs, les plus dévoués. «Pourquoi donc m’avoir ainsi quittée? Pourquoi dire que je ne vous ai jamais aimé, vous, Tristan, ma seule joie, ma consolation ici-bas?... Depuis mon enfance, je n’ai vécu que pour me rendre digne de vous. C’est la pensée d’être votre femme un jour qui a fait ma force et ma pureté. Et parce. que je ne réponds pas à l’appel de votre désespoir, parce que je ne vous écoute point quand vous me dites : « Défions le sort, sois à moi; demain nous mourrons ensemble! » vous dites que je ne vous aime pas… Vous dites aussi que je méprise votre pauvreté!... Je vous pardonne jusqu’à cette pensée outrageante... Et maintenant écoutez-moi. Fallût-il, pauvres tous deux, attendre le moment de nous unir jusqu’au jour où l’âge aura blanchi nos têtes, je vous attendrai, mon ami... Mais ne craignez pas ceci,... prenez courage... Vous monterez pas à pas au rang qui vous est dû... Mon amour vous sera un stimulant salutaire, une force, une énergie toujours nouvelles. Vous ne savez pas quels obstacles un tel amour peut dompter... » Ainsi écrit Maud, la vaillante et dévouée créature, et l’âme errante, l’âme du mort, devant ce témoignage irrécusable de l’amour qu’il a si misérablement méconnu, est saisie d’un désespoir inexprimable. C’est alors, c’est au plus fort de cette angoisse amère que le malheureux Tristan se réveille, sous le parapet du pont de la Serpentine, à la clarté sereine d’une pleine lune d’été. Un songe salutaire lui a montré la réalité, qu’un désespoir prestigieux dérobait à ses yeux troublés.

Ce récit de quelques pages, égaré parmi des conceptions beaucoup plus ambitieuses, nous semble, — et ceci est une simple conjecture, — avoir dû être un des pas décisifs que l’auteur a faits vers sa véritable voie, celle où son talent s’est pleinement développé. Comme beaucoup d’imaginations jeunes et ferventes, miss Mulock, imbue, on le voit, de poésie et de littérature savante, risquait d’étouffer, par excès de culture, les dons naturels qui constituent sa valeur individuelle, son originalité, sa puissance. Certaines plantes dépaysées meurent ainsi, victimes de trop de soins, dans le sol trop riche où l’on enfouit leurs vigoureuses racines. Si elle a échappé à ce danger, nous sommes tenté d’affirmer qu’elle l’a dû à l’influence, très notable sur bien d’autres talens, du chef-d’œuvre de miss Brontë. Jane Eyre date de 1847. Deux ans après parut le maiden-novel de miss Mulock, the Ogilvies, début remarquable et