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première fois qu’en 1843, dans le cahier des charges de la ligne d’Avignon à Marseille, par l’insertion, toujours maintenue depuis, du membre de phrase que je rappelais tout à l’heure. Enfin cette nouvelle disposition, qui a immédiatement trouvé des partisans et des détracteurs, a été remise sur le tapis en 1857 au corps législatif. M. Le conseiller d’état Vuillefroy, commissaire du gouvernement, a fait la déclaration suivante : «En ce qui concerne les tarifs différentiels, personne n’en conteste l’utilité; il aurait été trop tard du reste pour la contester, le principe en est écrit dans tous les cahiers des charges, et il eût été impossible d’obtenir le retrait d’un avantage aussi considérable. » Il convient d’ajouter que quelques cahiers des charges ont imprimé le caractère différentiel au maximum légal du tarif pour le transport des voyageurs ou des marchandises, et que la très grande majorité des tarifs généraux est également différentielle.

Voyons maintenant quels avantages retire le public des tarifs spéciaux différentiels, quels inconvéniens il peut redouter de l’application de ces tarifs. Le but légitime des concessionnaires est, comme pour les tarifs d’abonnement et par les mêmes motifs rationnels, de se procurer la plus grande masse possible de transports en abaissant les prix à l’égard de certaines marchandises, qui sans cela ne se déplaceraient point. Quoi de plus conforme à l’intérêt du public? L’agriculture peut-elle se plaindre de voir, grâce aux combinaisons différentielles, le lait, le bétail, les fruits et autres denrées qui ne peuvent supporter un temps trop long dans le trajet entre les centres de production et de consommation, le plâtre, la chaux, la marne et les engrais, franchir des distances énormes pour un prix très modique? Le producteur trouvera, il est vrai, un concurrent sur lequel il ne comptait pas; mais le consommateur y gagnera le bon marché. — Il est même à propos de remarquer que, durant la disette de 1857, la plupart des compagnies de chemins de fer, contre lesquelles le groupe des anciennes compagnies de transport s’élève avec tant d’acharnement, avaient consenti au gouvernement un tarif différentiel descendant jusqu’à 0 fr. 05 c. En pareille occurrence, ainsi que cela eut lieu en 1846 et 1847, la batellerie du Rhône, industrie libre et appelée bientôt à crier au monopole, élevait ses prix dans la proportion de 30 fr. à 140 fr.[1] pour un trajet que la compagnie de chemin de fer rivale a fait franchir moyennant la somme minime de 17 fr. 50 c! De quel côté est donc le patriotisme, si l’on veut absolument lui faire jouer un rôle dans une question commerciale? — Ce que je dis là des productions du sol s’applique tout aussi bien aux produits industriels, dont l’échange

  1. De la Perception des Tarifs sur les chemins de fer, par M. Teisserenc.