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En ce moment du reste, il ne s’agit guère encore que d’un procès de tendance, le mouvement des transports par eau étant en progrès, contrairement à l’opinion qui tend à s’établir par suite des plaintes incessantes et multipliées dont la navigation est le prétexte. La mesure de ce progrès peut être approximativement donnée par l’augmentation de la somme des droits qu’a perçus l’état durant la dernière période décennale, augmentation qui n’a pas été moindre de 1,500,000 francs. La valeur annuelle de ces droits peut être de 11 millions de francs au moins, dont il convient de défalquera peu près 7 millions de francs pour les frais d’entretien des canaux et rivières : le trésor n’encaisserait donc finalement qu’une somme de II millions de francs environ. À ce point de vue secondaire, bien qu’on mette toujours en avant les droits du trésor, les voies navigables sont hors de toute comparaison avec les voies ferrées, le seul impôt du dixième perçu sur les prix des places des voyageurs et du transport des marchandises à grande vitesse rendant annuellement plus de 17 millions de francs. Si l’on tient compte en outre des charges importantes qui ont été imposées aux compagnies de chemins de fer au profit de certaines administrations publiques (postes, guerre, marine), on verra que si l’état, propriétaire tout à la fois des diverses voies de communication, était tenté d’avoir, au point de vue financier, des préférences pour un de ces frères ennemis, ce ne pourrait être qu’au détriment des voies navigables. Il vaut mieux conclure de ces chiffres que le gouvernement pourrait, sans grand sacrifice, faire droit à la demande qui lui a été adressée, notamment par l’industrie houillère, et supprimer complètement les droits de navigation pour toutes les voies d’eau. Ainsi favorisée, la batellerie, qui a résisté jusqu’à présent aux atteintes que lui ont portées les compagnies de chemins de fer par les traités particuliers et les tarifs spéciaux, n’aurait plus rien à exiger pour être en mesure de lutter à armes égales avec ces compagnies. L’état pourrait alors laisser à une sorte de jugement de Dieu le soin de trancher la question controversée. Si, après un duel loyal, la navigation intérieure venait à succomber devant les chemins de fer, il faudrait bien avouer que la loi fatale d’un progrès inattendu la destinait à périr[1].

A côté de la navigation intérieure se présente la navigation côtière, qui a de plus pour elle l’intérêt inhérent à ce personnel maritime qu’elle entretient, au grand avantage de la puissance nationale. L’antique cabotage aux placides allures est certainement menacé par les lignes qui longent le littoral, ou par celles qui, comme le

  1. Dès 1850, l’enquête du conseil d’état révélait qu’en Angleterre des canaux avaient été comblés, puis remplacés par des voies ferrées!