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excitation de l’ouïe qui fait percevoir à l’hystérique les bruits les plus légers, pour que notre œil acquière une faculté que possèdent d’autres êtres. Ne sait-on pas que les personnes atteintes de nyctalopie ne peuvent voir que dans les ténèbres? La dilatation considérable de la pupille a été justement constatée chez les somnambules, et il n’est pas dès lors nécessaire de recourir à une transposition des sens pour expliquer les actes qu’ils accomplissent dans leurs songes. La vue n’est point d’ailleurs le seul organe surexcité; le tact qu’on trouve déjà si délicat chez les aveugles de naissance vient, comme la mémoire, en aide à la vue, et ce sens participe aussi de l’hypéresthésie des autres.

L’étude du somnambulisme naturel montre que ce n’est au fond qu’un songe en action, un de ces sommeils dans lesquels les sens continuent de transmettre certaines impressions, les membres et la voix d’obéir à la volonté, ainsi que cela s’observe dans des sommeils agités où l’on parle et gesticule. Le somnambule agit conformément aux images qui se déroulent devant son imagination, et absorbé en elles, il ne voit, il n’entend que pour rapporter à son rêve ce qui frappe sa vue ou son oreille surexcitée. Si on lui parle, il répond en suivant le cours de ses idées et, ainsi que le rêveur, sans comparer les visions dont il est dominé aux objets réels qui lui en révéleraient la nature fantastique. C’est ce qui se produit dans le somnambulisme magnétique. La personne magnétisée n’entend que la voix de son magnétiseur; elle demeure étrangère à tout ce qui se passe autour d’elle. Elle est, comme le somnambule naturel, absorbée dans une idée, dans un acte, et voilà pourquoi l’un et l’autre y apportent une extrême précision. Aussi les somnambules vont-ils jusqu’à faire, endormis, ce qu’ils ne sauraient exécuter éveillés; le développement de leur mémoire se rattache vraisemblablement aussi à cette concentration absolue de l’attention sur un seul objet.

En résumé, si le somnambulisme naturel implique une plus grande activité nerveuse, ou même lorsqu’il est associé à la catalepsie, à l’hystérie, un état maladif, il n’en est pas moins une forme particulière du sommeil, et le somnambulisme artificiel n’est à son tour qu’une forme plus développée et spéciale du somnambulisme naturel. C’est ce qu’a fort bien constaté le général Noizet, qui reconnaît dans ces trois états trois degrés d’un même phénomène.

Ainsi envisagé, le somnambulisme perd son caractère merveilleux et rentre dans un ordre de phénomènes dont il nous permet de compléter l’explication. Ces données nous amènent en même temps à réduire à leur juste valeur les faits les plus étranges entre ceux qu’avaient rapportés les magnétiseurs, et comme ces faits ont tour à tour provoqué une incrédulité absolue et une folle supersti-