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la demande arriva au parlement, le duc de Cleveland fit rejeter ce qu’on nommait plaisamment « la ligne des quakers, » parce qu’elle devait passer le long d’un de ses parcs. Après de nouvelles études et de patiens efforts, on réussit à obtenir, dans la session suivante, un bill qui autorisait la construction d’un chemin de fer où des wagons seraient traînés «par des hommes, des chevaux, ou autrement. » La locomotive, comme on voit, n’était pas même nommée. Stephenson alla pourtant trouver M. Pease, et lui recommanda l’emploi des machines à vapeur. Les manières simples, le bon sens résolu de Stephenson firent une profonde impression sur l’esprit du quaker. Il alla visiter Killingworth, et, converti aux opinions de Stephenson, il obtint en 1823 un nouveau projet pour l’établissement d’un chemin de fer à locomotives. En outre, il s’associa avec son nouveau protégé pour fonder à Newcastle un atelier de construction de locomotives, et le fit nommer ingénieur du chemin de fer de Darlington à Stockton aux appointemens de 300 livres sterling. Le champ était désormais ouvert devant Stephenson : il décida la compagnie à adopter l’emploi de rails en fer au lieu de rails en fonte; il fixa lui-même la largeur de la voie, dessina les plans de trois locomotives. Pour augmenter la puissance de ces machines, il conduisit la flamme, dans le trajet du foyer à la cheminée, par un large tube qui traversait la chaudière. Il donnait ainsi librement carrière à son imagination inventive; il avait dès lors conscience de la révolution que ses locomotives allaient bientôt opérer. Un jour, assis dans une petite auberge de Stockton avec son fils Robert et John Dixon, devenu lui-même depuis un grand ingénieur, il prononça ces paroles que par la suite Dixon se plaisait à rappeler : « Maintenant, mes jeunes amis, je vais vous le dire, je pense que vous vivrez assez pour voir le jour (pour ma part, je ne le verrai peut-être pas) où les chemins de fer détrôneront toutes les autres voies de communication dans ce pays, — où les dépêches iront en chemin de fer, où les voies ferrées deviendront le grand chemin du roi et de tous ses sujets. Le temps approche où il sera moins coûteux à un ouvrier de voyager en chemin de fer que de marcher à pied. Je sais qu’il y aura de grandes, presque d’insurmontables difficultés à vaincre; mais ce que j’ai dit doit arriver aussi sûrement que nous existons. Je désire seulement voir ce jour, bien que je puisse à peine l’espérer, car je sais combien est lent tout progrès humain, et avec quelle difficulté j’ai fait adopter la locomotive, malgré le succès de l’expérience continuée depuis plus de deux ans à Killingworth. »

Le chemin de fer de Stockton à Darlington fut inauguré le 27 septembre 1825; au milieu d’un immense concours de population, la première locomotive remorqua un train de trente-huit voitures