Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/672

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petite; tout ce monde y vivait en commun et y couchait la nuit. La misère était grande, les vivres coûtaient cher. La guerre avec Napoléon, alors dans toute sa fureur, mettait les classes ouvrières de l’Angleterre aux plus terribles épreuves. Heureusement qu’un nouveau charbonnage ayant été ouvert aux environs de Newburn, George y fut appelé, et, suivant les règles de la hiérarchie habituelle, élevé au rang de nettoyeur de la pompe. Il avait dix-sept ans seulement; malgré sa jeunesse, on n’hésita pas à lui confier ce poste assez important à cause des soins scrupuleux et du zèle qu’il apportait dans ses fonctions. Son travail régulier l’absorbait entièrement pendant douze heures chaque jour; mais plus d’une heure supplémentaire était consacrée à nettoyer la machine, à la démonter, pour l’étudier dans toutes les parties et se familiariser avec tous les organes. George Stephenson comprit bientôt que pour achever son éducation il lui était indispensable d’apprendre à lire. Bien qu’homme fait, il se mit à l’école, et malgré la modicité de son salaire, il en consacra une partie à payer des leçons de lecture, d’écriture et d’arithmétique. On le voyait dans la journée, assis près de sa machine, écrire ou faire des calculs sur une ardoise.

Pendant qu’il continuait à s’occuper de la pompe d’extraction, George Stephenson se familiarisait avec la manœuvre du frein. On appelle ainsi dans les charbonnages l’appareil destiné à régler le mouvement des charges de houille qui montent du fond de la mine, de telle façon qu’elles viennent s’arrêter précisément à l’ouverture du puits où on les attend. Ce travail demande à la fois de l’adresse et de l’habitude; Stephenson fut nommé garde-frein. Cette nouvelle fonction lui laissait assez de loisirs pour qu’il pût exercer en même temps le métier de cordonnier. Il apprit à raccommoder les souliers, et ce fut de cette façon qu’il réussit à mettre de côté sa première guinée. Il conserva soigneusement ce trésor. La première obole qu’on ôte au présent pour la réserver à l’avenir n’est-elle pas le secret des plus grandes fortunes?

Quand on est âgé d’un peu plus de vingt ans, et qu’on voit quelques souverains briller dans son tiroir, à quoi songe-t-on tout naturellement? A se marier. C’est ce que fit George Stephenson. Il fabriqua pour Fanny Henderson la plus belle paire de souliers qui fût encore sortie de ses mains. Fanny devint bientôt sa femme, et les jeunes mariés allèrent s’établir à Willington-Quay, sur les bords de la Tyne. Nous y retrouvons encore Stephenson garde-frein, déjà tourmenté par son imagination inventive, et, comme tant d’autres avant et après lui, cherchant sérieusement le mouvement perpétuel. Tout en dépensant à la poursuite d’une chimère les ressources de son ingénieux esprit, il ne négligeait pas les réalités de la vie; il continuait à faire modestement des souliers; il était aussi devenu,