Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/667

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dance proclamée par les colonies de l’Amérique du Sud ouvrait, en 1820, aux entreprises de l’Europe. Même au-delà du cap Horn, nous avons donc, depuis près d’un demi-siècle, de sérieux intérêts à surveiller, nous y avons surtout de précieux germes à fomenter et à faire éclore.

Je ne veux pas me défendre d’une prédilection secrète pour des relations que j’ai, dans une certaine mesure, contribué à fonder ; je ne m’exagère point assurément la portée de mon intervention en cette circonstance; mais je puis me rendre la justice que j’ai été un des premiers à pressentir et à signaler les conséquences économiques des événemens qui s’étaient accomplis pour ainsi dire sous mes yeux. Le rapport qu’au retour de cette campagne j’adressai au baron Portai fut de la part du cabinet français l’objet d’un examen aussi bienveillant qu’attentif. Le développement de nos intérêts commerciaux était alors la grande question du jour. C’était, on doit s’en souvenir, l’objet avoué de notre ambition, le thème favori des méditations des ministres, et, qu’on me passe l’expression, le hobby-horse de l’époque. Lorsqu’on songe à la situation que nous avaient faite vingt-deux années consécutives de guerre, il y aurait de l’ingratitude à méconnaître la tendance bienfaisante de ces préoccupations pacifiques. Jusqu’à son dernier jour, la restauration, accablée sous le poids des gloires et des malheurs d’un autre règne, a vainement cherché à réconcilier la France avec le passé et à se réconcilier elle-même avec l’avenir; il faut rendre du moins hommage à ses efforts. Non contente de ranimer notre industrie mourante, de rouvrir à notre navigation marchande tous les ports dont une influence hostile l’avait exclue, elle ne se lassait point, avec un budget bien réduit, d’aller chercher, jusqu’au-delà des caps que notre pavillon ne savait plus doubler, des débouchés nouveaux pour les richesses naturelles de notre sol, des marchés inexploités pour les produits de nos manufactures. Elle espérait nous désabuser ainsi des grandeurs de la guerre et nous apprendre à aimer les douceurs de la paix ; mais la paix doit être autre chose que le loisir et le bien-être matériel des peuples. Sans quelque œuvre émouvante à laquelle une grande nation trouve à s’attacher, on peut être certain que l’oisiveté sera pour elle une mauvaise et dangereuse conseillère.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.