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vait plus partager avec moi. Je ne voudrais point m’exposer à décourager de généreuses vocations. Il ne faut pas cependant qu’on ignore les poignantes épreuves qui attendent trop souvent le marin. Si une humeur hardie vous entraîne vers cette rude profession, s’il vous faut à tout prix courir à la poursuite des rêves de votre enfance, je ne vous en détourne pas, entrez dans la carrière où mes cheveux ont de bonne heure blanchi; mais portez-y, jeunes gens, de sérieuses pensées, car là plus qu’ailleurs, je vous en préviens, vous aurez à pratiquer la religion du sacrifice.

Malgré les douloureux souvenirs que m’a laissés cette campagne dans la Mer du Sud, je ne la considère pas moins comme une des plus intéressantes que j’aie faites. L’émancipation des états américains et l’abolition de la traite ont marqué une étape nouvelle dans l’histoire de l’humanité; elles ont clos à jamais l’ère des exploitations coloniales et leur ont substitué le bienfait des échanges volontaires, l’Angleterre, — plus d’un économiste en a fait la remarque, — n’a point eu à regretter l’affranchissement des États-Unis. Le commerce, dans cet événement, a gagné tout ce que semblait perdre la politique. Si l’on en excepte l’Inde, où les conditions trop âpres de la conquête tendront nécessairement à se modifier, on peut dire que les colonies anglaises n’ont plus à revendiquer qu’une bien faible part dans la prospérité du royaume-uni. Le commerce international est la mine féconde, l’intarissable trésor où, depuis près de soixante ans, nos voisins vont incessamment puiser leurs richesses. Ainsi que nous commencions à le reconnaître dès 1820, c’est l’art de fabriquer, d’acheter et de vendre qui a donné naissance à cette puissance colossale, dont le développement ne cache point d’autre mystère que celui du travail opiniâtre uni à la sagacité commerciale et à la longue habitude des grandes transactions.

Si le temps des colonies est passé, la prépondérance qu’ont su prendre les négocians anglais sur la plupart des marchés étrangers où nous les rencontrons peut bien être pour nous un sujet d’émulation; elle ne saurait être un motif de découragement ou d’envie. Il n’est point aujourd’hui de terrain où la France ne puisse accepter hardiment la rivalité de l’Angleterre. Nous l’avons vue porter dans les arts de la paix la rapidité de conception, l’ardeur d’exécution, la furie en un mot, qui la rendent si redoutable sur les champs de bataille. Dans quel autre pays l’industrie a-t-elle pris, depuis 1815, un si soudain et si miraculeux essor? A quelle autre contrée chaque année de paix a-t-elle aussi merveilleusement profité ? Bien que les expéditions lointaines aient eu de tout temps le fâcheux privilège d’effrayer notre audace, nous n’en avons pas moins su prendre de bonne heure notre place sur les marchés nouveaux que l’indépen-