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eût été difficile de les distinguer de nos matelots. Chacun s’empressant à l’envi autour d’eux, ils s’étaient trouvés en un clin d’œil débarrassés de leurs haillons humides et enveloppés dans de chauds vêtemens. C’était à qui de nos jeunes marins viendrait le premier au secours de ces vieux militaires, la plupart blessés ou couverts d’honorables cicatrices. Le matelot français a souvent la malice, mais il a aussi la sensibilité et la candeur d’un enfant.

Après l’évacuation de La Guayra, le général Bolivar y fit son entrée, et le pavillon colombien fut à l’instant arboré sur la citadelle. De mon côté, je fis signal à la division de mettre sous voiles, et je me dirigeai vers Puerto-Cabello. Nous étions le lendemain mouillés devant ce port. Le vice-roi du Mexique et celui de la Nouvelle-Grenade y étaient arrivés le jour même où nous sauvions la garnison de La Guayra. Je rencontrai ces grands personnages réunis chez le général La Torre. J’obtins d’eux de tristes détails sur l’état des affaires de l’Espagne dans cette partie de l’Amérique. L’armée royale, forte à peine de quatre mille hommes, était complètement découragée. Un envoyé de la république était venu à Puerto-Cabello offrir un armistice, et Bolivar lui-même était attendu dans peu de jours à Valencia, où l’on espérait que la paix pourrait se conclure. Depuis huit ans, l’Espagne épuisait dans cette lutte inégale ses armées et ses trésors. Le moment était venu de céder à l’ascendant du libérateur.

Je n’avais aucun motif pour m’arrêter devant Puerto-Cabello; J’en repartis aussitôt que j’eus mis à terre la garnison de La Guayra. Ainsi que j’en étais convenu avec le gouverneur de la Martinique, je visitai, sans toucher sur aucun point, toute la côte septentrionale de Saint-Domingue. Il m’était prescrit de ne pas inspirer d’inquiétudes au gouvernement du président Boyer, avec lequel on songeait dès lors à s’entendre. Je revis ainsi le cap Français et le môle Saint-Nicolas, où les forts et la ville me parurent également abandonnés. Partout des ruines, partout des rades désertes, telles étaient les œuvres que me présentait à chaque pas le fatal génie de la révolution.

Arrivé à La Havane, je retrouvai des gens auxquels l’exemple de tant de maux n’avait rien appris. Fatigués des entraves que l’Espagne mettait à leur commerce, les habitans de Cuba auraient voulu, eux aussi, secouer le joug de la métropole et proclamer leur union avec le Mexique. Aujourd’hui c’est dans l’annexion aux États-Unis que les mécontens ont mis leur espoir. Tout n’est point parfait sans doute dans l’administration coloniale de l’Espagne, mais il faut que des abus soient bien graves et bien profondément odieux pour n’être pas encore préférables aux inévitables conséquences d’une émancipation violente. L’île de Cuba, sous ce joug qu’elle voudrait