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employé son influence en faveur de la mère-patrie, changea subitement de conduite et de langage. La haine des principes proclamés par la métropole suffit pour gagner à la cause de l’indépendance les vœux de la sainte milice qui n’avait cessé de combattre pour le maintien de l’autorité royale. L’armée se trouva, comme la population, partagée en deux camps, et la discipline militaire subit l’ébranlement général de la chose publique. Malgré tant de chances contraires, les Espagnols auraient encore pu sauver leur domination au Pérou, s’ils avaient conservé l’empire de la mer; mais ils laissèrent une division chilienne, composée de deux ou trois navires achetés au commerce, prendre un ascendant marqué dans la Mer du Sud. Une de leurs frégates fut capturée dans la baie de La Conception. Une autre, l’Esmeralda, fut enlevée sous le canon des forts du Callao par des embarcations que commandait lord Cochrane en personne. De deux vaisseaux expédiés d’Europe, l’un, démâté sous l’équateur par un violent orage, fut obligé de rentrer en Espagne; le second disparut en doublant le cap Horn. Toute communication se trouva coupée entre l’armée du Pérou et la mère-patrie. Ce qui doit étonner, c’est que cette armée ait pu prolonger aussi longtemps sa résistance. De bien grands événemens peuvent souvent être décidés par des forces presque insignifiantes. Sans sa flotte, qui ne compta jamais qu’un vaisseau de soixante canons, trois frégates, une corvette, quatre bricks, quatre goélettes et neuf transports, le Chili eût peut-être été incapable de maintenir son indépendance. À coup sûr, il n’eût point aussi efficacement contribué à l’affranchissement du Pérou.

Ce ne fut point cependant le Chili qui eut la gloire d’expulser les derniers Espagnols du sol américain. Cet honneur était réservé aux soldats de la Colombie et au général Bolivar. Le Pérou ne prit par lui-même qu’une assez faible part à sa propre délivrance ; il n’avait pas au même degré que les autres provinces espagnoles la haine de l’étranger : trop heureux s’il eût pu échapper jusqu’au bout à la fièvre révolutionnaire qui faisait ainsi tomber l’un après l’autre les plus nobles fleurons de la couronne d’Aragon et de Castille ! Il fallait laisser aux graves descendans des pères pèlerins de l’Amérique du Nord les institutions auxquelles les avait si bien préparés tout un siècle de vertus austères. Autre peuple, autre gouvernement. Cette race aimable, au langage emphatique et sonore, aux instincts capricieux, que l’ardeur des aventures avait conduite jusque sur le revers occidental des Andes, avait sans doute aussi, dans les desseins d’en haut, sa mission providentielle; mais je serais tenté de croire que ce n’était pas celle de fonder une république.

Quand on songe aux antipathies qui séparaient autrefois et qui