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compatriotes pouvaient être en péril. Je portai mon pavillon sur la Renommée, dont le tirant d’eau, bien inférieur à celui du Centaure, devait me permettre de remonter, s’il le fallait, jusque devant Buenos-Ayres, et j’allai immédiatement avec cette frégate prendre le mouillage de Montevideo. Là, j’appris en quelques heures quelle était à peu près la situation politique du pays, quels partis le divisaient, quelles influences y exerçaient tour à tour leur ascendant.

Vers la fin de 1819, le parti français avait pris le dessus à Buenos-Ayres. La forme républicaine ne semblait promettre à ces provinces que de sanglantes discordes et d’interminables orages. Quelques personnes songèrent à demander à l’Europe un prince étranger. Des propositions furent d’abord adressées à notre gouvernement. Les autorités de Buenos-Ayres offraient sur les bords de la Plata un trône constitutionnel à M. Le duc d’Orléans. Cette démarche n’eut aucun succès. Les vœux du congrès, secrètement consulté, parurent se réunir alors sur le prince de Lucques. Tout était préparé, les conditions faites. Ce plan aurait obtenu bientôt l’approbation unanime du pays, lorsqu’une indiscrétion éveilla l’attention de nos éternels rivaux. Les Anglais, avertis, n’hésitèrent pas à déjouer cette prétendue intrigue par une révolution; ils unirent leurs efforts à ceux de quelques mécontens, et parvinrent à renverser le directeur Puyredon en prêtant leur appui à Saratea, son ennemi personnel. Ce fâcheux antagonisme, qui se révélait entre l’Angleterre et la France sur un terrain où les intérêts directs des deux nations n’étaient pas en jeu, ne montrait que trop l’inanité des espérances qu’aurait pu faire naître dans mon esprit la campagne que je venais d’accomplir, il y avait à peine quelques mois, de concert avec le vice-amiral Freemantle. Il devrait cependant répugner aux instincts généreux de deux puissans peuples de sacrifier toujours le bonheur et la tranquillité des états secondaires aux préoccupations de leurs jalouses querelles.

Montevideo avait été occupé par des troupes portugaises; Puyredon s’y réfugia. A partir de ce moment, l’anarchie fut complète dans la province de Buenos-Ayres. Tous ceux qui purent rassembler quelques forces aspirèrent au gouvernement et se firent entre eux une guerre acharnée. Enfin, le à octobre 1820, un ami de Puyredon, Martin Rodriguez, fut proclamé gouverneur-général par les électeurs des provinces; il parut devant Buenos-Ayres à la tête de quatre mille hommes, et l’enleva le jour même de vive force. Près de quatre cents personnes furent tuées ou blessées dans cet assaut. Rodriguez montrait une grande sévérité. Quelques individus avaient été condamnés à mort; contre un plus grand nombre, la peine de l’exil avait été prononcée. Montevideo voyait accourir en foule les émigrés et les proscrits. Une telle rigueur faisait penser que cette révolution serait