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quel accueil serait fait à notre commerce dans les états indépendans qui confinaient aux provinces brésiliennes. La plaine qui s’étend le long des deux rives de la Plata, de l’Océan jusqu’à Santa-Fé, est en général très fertile. Excepté le bois, tout ce qui subvient aux besoins ordinaires de la vie y croît abondamment. La véritable richesse de cette contrée consiste surtout dans les vastes pâturages où errent en liberté d’immenses troupeaux de bœufs, de moutons, de chevaux et de mules. Les exportations des provinces de la Plata se composent presque exclusivement de cuirs et de suif pour l’Europe, de viande boucanée pour le Brésil ou les colonies espagnoles. L’Europe, en retour, y envoie des soieries, des tissus de coton et de laine, des eaux-de-vie et des vins. Malheureusement la guerre civile avait décimé ces troupeaux, devenus tour à tour la proie de l’un et de l’autre parti. Les bestiaux commençaient à devenir rares sur les bords de la Plata. Le moment semblait donc peu favorable pour y nouer des relations commerciales. L’apparition de notre pavillon dans ce fleuve, où l’on était si peu habitué à le voir flotter, n’en devait pas être pour cela moins utile : elle rappellerait à tous ces partis, mutuellement acharnés à leur perte, que la France, sans vouloir s’immiscer en aucune façon dans leurs querelles, était bien décidée à ne pas souffrir que nos compatriotes ou leurs intérêts en fussent victimes.

Le 29 septembre 1820, je sortis de la baie de Sainte-Catherine et je me dirigeai vers l’embouchure de la Plata. Sur la rive gauche de ce fleuve, entre l’Uruguay et le cap Sainte-Marie, on rencontre les villes de Maldonado et de Montevideo; sur la rive droite, au fond du golfe immense dont Montevideo et Maldonado occupent l’entrée, s’élève la ville de Buenos-Ayres. Le 12 octobre, je mouillai devant Maldonado. Cette rade est complètement exposée aux vents du large. Un terrain inculte et sablonneux nous conduisit à la ville, distante d’un quart de lieue environ du rivage. Les rues, bien alignées et très spacieuses, étaient désertes. Les maisons, bâties en briques rouges, n’ont d’autre étage qu’un rez-de-chaussée; la plupart tombaient en ruines. Deux églises s’élevaient du milieu de ces masures. Dans l’une, dont la façade dégradée accusait un long abandon, on avait creusé de vastes fosses encore découvertes où gisaient entassés les cadavres des soldats tués pendant les derniers troubles. Cette ville, délaissée par ses habitans, avait un aspect sinistre. Je ne pus du reste m’y arrêter plus d’un jour. Au moment même où nous jetions l’ancre sur la rade de Maldonado, Buenos-Ayres venait d’être enlevé d’assaut par un de ces chefs de partisans qui se succédaient alors si rapidement au pouvoir; un pareil événement m’imposait le devoir de me rapprocher d’une ville où la fortune et la vie de nos