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côtes de la mer des Caraïbes. Aussi les cafés de Gucutà, de la Sierra-Negra et d’autres provenances en usurpent-ils souvent le nom. Les étrangers qui font un séjour de quelques semaines à Sainte-Marthe ne manquent pas d’aller visiter Minca, et, malgré la fatigue d’une marche de cinq heures par des chemins raboteux, ne regrettent jamais cette excursion, la seule qu’on puisse faire sans danger dans la sierra proprement dite. Après avoir contourné l’usine de Sari-Pedro, on gravit successivement les pentes arides de plusieurs peladeros, puis on suit le bord d’une gorge profonde que l’on devine plutôt qu’on ne la voit, tant les arbres y sont pressés l’un contre l’autre. Quand, de l’étroit sentier où l’on est comme suspendu, on se penche pour regarder au fond de la vallée, on n’a sous les yeux qu’un abîme de feuillage, un mélange inextricable de troncs, de lianes et de feuilles. A peine voit-on briller un point blanc, un flocon d’écume qui indique le passage du torrent dont les cascades mugissent pourtant comme un orage. Bien au-dessus du sentier, les mêmes arbres dont on n’a pu distinguer au fond du gouffre les troncs cachés par un amas de feuilles entrelacent leurs cimes, et ne laissent passer à travers leurs branches qu’une vague et mystérieuse lumière. Le sol lui-même sur lequel on marche disparaît sous les plantes de toute espèce : on pourrait se croire perdu dans un océan de verdure. Il m’arriva même une fois de ne pouvoir aucunement me rendre compte du paysage environnant, il me sembla que je passais sur un pont de verdure jeté au-dessus d’un torrent dont j’entendais l’eau mugir à une grande profondeur; mais les arbres qui se dressaient à droite et à gauche étaient si bien enguirlandés de parasites en fleurs, les abords du pont étaient tellement embarrassés de hauts arbustes entremêlés, que je n’ai pu voir s’il était dû au travail de l’homme, ou s’il n’était autre chose qu’une arche de rocher percée par le torrent. On comprend que, dans une nature aussi fougueuse, le sentier soit très souvent oblitéré par la végétation, obstrué par des arbres abattus, raviné par des inondations soudaines ; cependant à côté de ce chemin, dont les courbes et les zigzags changent tous les ans sous les pas des animaux et des piétons, on voit encore l’ancien chemin des Indiens Mincas, pavé de dalles de granit quelquefois longues de plus d’un mètre. Quand la pente de la montagne est très rapide, ces dalles sont disposées en marches d’escalier; le plus souvent elles sont posées à plat sur le sol incliné, et forment un pavé glissant sur lequel les montures n’osent s’aventurer, surtout en temps de pluie. D’ailleurs ce chemin ne tourne aucun obstacle, et gravit les collines escarpées, descend à pic dans les vallées, sans dévier de la ligne droite; on voit qu’il a été construit par une race de montagnards auxquels la fatigue était inconnue. Aujourd’hui il ne reste plus de ces Indiens que le nom et