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Magdalena ne fait guère que le commerce de transit : elle reçoit de l’étranger des cargaisons d’étoffes, marchandises peu encombrantes qu’on peut facilement expédier vers les marchés de l’intérieur; en échange, elle envoie en Angleterre une grande partie de l’or obtenu par les mineurs de l’état d’Antioquia, et en Allemagne quelques chargemens de tabac. Le total des importations et des exportations s’élève à environ 15 millions de francs par an. Qu’il serait facile d’augmenter cette somme, comparativement insignifiante, si l’on voulait s’adonner sérieusement à la culture du sol!

Comme tous les habitans de Sainte-Marthe, je me sentis moi-même dès les premiers jours enivré de cet air voluptueux et chargé d’arômes qui s’élevait de la plaine. Cependant mes heures ne se perdirent pas entièrement : bien accueilli dans toutes les maisons où je me présentai, je me fis des amis qui s’empressèrent de répondre à mes diverses questions avec une obligeance toute castillane ; en me promenant sur la plage, je liai conversation aussi souvent que possible avec les pêcheurs indiens ou métis; de toutes les manières, je tâchai d’étudier sur le vif les mœurs, les croyances, les habitudes de la population. Pour connaître les principaux produits de la plaine, je n’eus qu’à errer le long des sentiers et à pénétrer dans les jardins, où l’on m’offrait des fruits de toute espèce à des prix d’une incroyable modicité. C’étaient des figues, des bananes de plusieurs variétés, puis des nisperos à la chair couleur de sang, des ananas, des papayes, des ciruelas ou prunes des tropiques, des aguacates (avocats), des mangos à l’odeur de térébenthine, des goyaves, le marañon ou pomme d’acajou, dont le parfum vaut à lui seul un festin, le guanabano, qui rappelle le goût des fraises dans le vin sucré, et tant d’autres productions exquises dont la nomenclature exigerait un dictionnaire en règle. Dans cette plaine fortunée et sur les pentes de ces montagnes où le soleil mûrit d’un même rayon les fruits les plus suaves de tous les climats, il ne serait pas difficile de redevenir frugivore comme nos premiers pères, et d’abandonner l’affreux régime de la chair et du sang pour celui des végétaux qui croissent spontanément du sein de la terre.

Sous nos tristes climats du nord, pendant la saison d’hiver, bien des actes de la vie causent une véritable souffrance. Le matin surtout, il faut presque de la force d’âme pour s’éveiller résolument, prendre plaisir au ruissellement de l’eau glacée sur le corps, aux caresses mordantes de l’air extérieur qui fait une irruption soudaine par la fenêtre entrouverte. Combien au contraire le réveil est suave et délicieux dans les doux pays du midi, dans une plaine comme celle de Sainte-Marthe! Les vagues parfums des corolles qui s’entrouvrent viennent flotter dans la chambre, les oiseaux battent de