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générale entre ce qui est moi et ce qui n’est pas moi. De là une foule de connaissances qui peuvent avoir leurs lacunes, leurs obscurités et leurs incertitudes; mais quelques questions qui s’élèvent sur les existences ainsi connues et garanties, on n’y perd jamais la lumière ni l’appui des connaissances directes. L’expérience trop décriée par certains philosophes, mais j’entends l’expérience interne et externe, celle de la sensibilité et de la raison combinées, est un flambeau que rien ne peut éteindre.

Assurément, de la conscience et de la perception, des connaissances directes qu’on leur doit, on peut dériver la notion de Dieu; mais Dieu n’est pas pour cela l’objet de la perception ni de la conscience. La notion de Dieu sera toujours l’œuvre pure de la raison: c’est ce que nous entendions en disant que pour l’humanité Dieu est une idée.

Or les notions qui sont pour nous plus qu’une idée, qui tiennent immédiatement de la conscience ou de la perception, ont cette propriété d’être ce que les philosophes appellent représentables. L’imagination peut se représenter nos actes intimes, les phénomènes extérieurs, l’expérience qui les combine et éclaire les choses par la pensée. La connaissance de Dieu obtenue par la raison, qui élève seule les questions d’origine, ne peut pas, ne doit pas être représentée : elle ne peut être que conçue. Il n’en est pas ainsi de toutes les idées qui semblent aussi purement rationnelles. Les vérités géométriques n’ont toute leur nécessité, toute leur exactitude que comme vérités idéales; mais on peut en une certaine mesure se les représenter, soit en concevant des figures imaginaires, soit en les appliquant aux formes réelles des objets de la sensibilité. L’idée de cause, le principe de causalité, comme on dit, est un pur principe de l’intelligence; mais outre qu’à chaque instant l’expérience nous en fournit des applications au moins apparentes, on ne doit plus guère ignorer après Maine de Biran comment nous pouvons nous représenter la cause en acte, comme un fait de conscience que nous reproduisons à volonté.

Cette faculté nous est refusée, quand nous pensons à Dieu; je parle philosophiquement et de l’humanité telle qu’elle est. Pour que la notion de Dieu comportât une certaine représentation, il faudrait être Abraham ou Moïse, ou plutôt un de ces hommes choisis qui virent avec une joie pleine de frayeur et de respect celui qui venait à eux en marchant sur la mer de Galilée. C’est précisément le caractère et le privilège de la révélation que de faire cesser jusqu’à un certain point cette pure idéalité de Dieu, que de satisfaire à un besoin de la nature humaine qui voudrait ne croire aux existences que susceptibles de représentation, que de nous rendre en une certaine mesure Dieu même représentable. Et cependant pour la pos-